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  • Rousseau ou la conscience sociale des Lumières
  • Jean-François Perrin
Rousseau ou la conscience sociale des Lumières. Par Éliane Martin-Haag. (Les Dix-Huitièmes Siècles, 133). Paris: Honoré Champion, 2009. 382 pp. Pb €84.00.

Les apports à la recherche revendiqués par Éliane Martin-Haag sont les suivants: réexamen de la posture de Rousseau dans l’histoire de la philosophie à partir de la dimension de l’involontaire comme fondement de son expérience de la pensée: chez lui, ‘l’expérience de l’involontaire est donc l’expérience d’une volonté-nécessité [. . .] qui repose sur le fait naturel ou le fait-droit que constitue [. . .] le pouvoir effectif de la conscience’ (p. 35). À l’arrière-plan de cette assertion de É. Martin-Haag on trouve une relecture de l’‘illumination de Vincennes’ comme ‘expérience immanente de la pensée’ exprimant la nature ‘éthico-sociale’ de la conscience mue par l’amour de soi en tant qu’affecté par le souci du ‘bien commun’, ce qui ne pourrait se comprendre que dans une perspective spinoziste (voir Jonathan I. Israël, Les Lumières radicales (Paris: Éditions Amsterdam, 2005)): ‘l’originalité de Rousseau [étant] de concevoir ce sens commun du juste comme une force ou un conatus affectif qui peut devenir une véritable passion, capable de guider la pensée’ (p. 29). Ce livre s’inscrit ainsi dans le fil d’un courant récent (et bien discutable!) d’interprétation de Rousseau comme penseur matérialiste, dégageant chez lui une ‘généalogie matérialiste du goût’, faisant du ‘travail productif’ la condition d’une ‘aliénation positive’ (p. 360), et admettant que chez lui ‘la conscience sociale immanente à l’homme est aussi une conscience matérialiste’, selon une approche des mœurs qui ‘annonce [. . .] la notion marxiste d’idéologie’ (p. 361). On ne s’étonne pas dès lors qu’il soit situé dans un éclairage deleuzien, comme ‘un penseur de l’immanence’ (p. 12). Sur ce chemin, l’auteure rencontre notamment deux objections classiques: primo, le combat résolu de Rousseau contre les matérialistes athées contemporains, et notamment Diderot dont elle n’a certainement pas raison d’affirmer que Rousseau ne ‘le comprend guère’ (p. 39) (voir ici le récent collectif dirigé par Franck Salaün, Diderot–Rousseau: un entretien à distance (Paris: Desjonquères, 2006)). Et secundo, la question de son cartésianisme tant sur le plan de la méthode que des options métaphysiques essentielles; on doute ici que le Traité des passions soit la [End Page 529] voie royale pour une discussion véritable de ce que Rousseau maintient résolument de Descartes. On s’étonnera enfin de l’absence totale de toute référence lockienne dans l’argumentaire et la bibliographie, alors que le penseur de l’Essai est certainement l’un des grands interlocuteurs philosophiques de l’auteur de l’Émile, qui l’a beaucoup plus finement compris et discuté que Condillac et ses imitateurs ‘sensualistes’ (voir ici notamment les travaux de Jørn Schøsler). Ces réserves étant faites, cet ouvrage apporte par son effort original et suivi pour mettre effectivement en lecture ‘philosophique’ les écrits dits ‘autobiographiques’, mais on regrette que soit ignoré à cet égard le travail fondateur de Christopher Kelly, Rousseau’s Exemplary Life: The Confessions as Political Philosophy (Ithaca, NY: Cornell University Press, 1987). Le livre avance par ailleurs une réévaluation intéressante de la catégorie de ‘prudence’ dans la pensée politique de Rousseau, ainsi que des approches éclairantes sur sa conception de la causalité historique, au prix, il est vrai, de considérations sur la philosophie de l’Histoire dans la pensée des Lumières qui peuvent parfois surprendre.

Jean-François Perrin
Université Stendhal-Grenoble 3
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