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Reviewed by:
  • Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française
  • Arnaud-Dominique Houte
Dominique Kalifa. - Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française. Paris, Perrin, 2009, 344 pages.

« Biribi » : le mot fait partie de cet héritage du XIXe siècle qui s’efface petit à petit de nos mémoires. Apparu dans les années 1860, il se banalise au tournant du siècle et décline lentement après 1930, disparaissant franchement depuis les années 1970. Durant toute cette période, il désigne l’ensemble des bagnes et des dispositifs disciplinaires mis en place par l’armée française sur le sol africain et qui ont accueilli 600 à 800 000 soldats de 1830 à la fin des années 1960. Biribi se situe donc au carrefour de trois grands domaines historiographiques : la question de la discipline et des pénalités; la place des colonies, exception ou laboratoire pour la République; l’imaginaire de la déviance et des marges de la société, enfin, dont Dominique Kalifa est l’un des meilleurs spécialistes – avec Michelle Perrot à qui ce Biribi est d’ailleurs dédié. « L’armée, l’Afrique, la République, le tout environné du cliquetis des fers »... Il s’agit donc d’un observatoire de choix pour l’historien. Un moyen de sonder la société et la culture du XIXe siècle, ses valeurs (l’armée, la propriété) et ses peurs (le vol, la violence), à travers une étude détaillée de ses bas-fonds.

« Biribi » avait déjà fait l’objet de plusieurs publications plus ou moins confidentielles. Toutes avaient cherché à cerner et à entretenir la légende des « durs, des vrais, des tatoués ». Aucun travail n’avait en revanche tenté d’établir les faits et de décrypter les enjeux. Décrire, sources à l’appui, et comprendre : c’est à ce projet que s’attelle donc Dominique Kalifa dans un ouvrage organisé en trois parties.

« Dante n’avait rien vu » : la première partie reprend le titre qu’Albert Londres donne en 1924 aux articles qu’il a consacrés aux bagnes militaires d’Afrique. Elle se concentre sur l’image et sur la légende : que sait-on de « Biribi » en France ? Comment en parle-t-on ? Dès la Monarchie de Juillet, quelques polémistes s’étaient élevés contre le régime disciplinaire propre à l’armée, mais ce n’est qu’au tournant du siècle que les débats s’amplifient. Le roman autobiographique de Georges Darien, Biribi, joue ici un rôle capital, de même que les articles de Jacques Dhur, précurseur méconnu d’Albert Londres. L’opinion publique est mobilisée par une série d’événements spectaculaires – et Dominique Kalifa ressuscite ici des affaires oubliées. Mais elle est surtout rendue réceptive par un climat général : la fascination de la Belle Epoque pour la déviance et pour les marges, qui donne un relief tout particulier aux tatoués de Biribi.

La deuxième partie emprunte une direction plus classique en essayant de présenter « l’archipel punitif de l’armée française ». L’expression « Biribi » ne correspond en effet à aucun lieu; elle désigne de manière générique une grande variété d’institutions disciplinaires : les compagnies de discipline nées sous la Révolution; les Bat’ d’Af’ (bataillons d’Afrique) organisés en 1832, les pénitentiers militaires, les « sections spéciales », etc. Dominique Kalifa guide le lecteur dans la généalogie parfois complexe mais éclairante de ces institutions de la marginalité. Il montre surtout combien les soldats peuvent circuler de l’une à l’autre – le meilleur élément des compagnies de discipline pouvant être versé dans les Bat’ d’Af’, etc. Cette porosité explique en partie que l’opinion publique confonde dans une même peur mêlée de répugnance l’ensemble de ces dispositifs punitifs. Peu importe le détail : [End Page 106] « Biribi, c’est en Afrique », chante Aristide Bruant, définissant ainsi un premier trait saillant. Et Biribi, c’est l’asile des « mauvais...

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