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  • « En fin de compte, un génocide, c'est très humain » : S21: la machine de mort khmère rouge de Rithy Panh
  • Nathalie Rachlin

En Décembre 2003, Khieu Samphan, ancien président du Kampuchéa démocratique (le nom officiel du régime khmer rouge) et fidèle compagnon de route de Pol Pot jusqu'à la mort du dictateur en avril 1998, reconnaissait dans « une lettre ouverte à ses compatriotes » qu'il y avait bien eu un génocide entre 1975 et 1979 au Cambodge 1 . Le catalyseur de cette tardive épiphanie du leader khmer rouge ? C'était, écrivait Khieu Samphan, le film S21 : la machine de mort khmère rouge (2002) de Rithy Panh qu'il venait de visionner. Ce documentaire sur les anciens gardiens du centre de détention S-21 situé dans le quartier de Tuol Sleng à Phnom Penh où les khmers rouges emprisonnèrent, torturèrent et exécutèrent plus de 17 000 personnes, lui aurait apporté la preuve indéniable que le régime de Pol Pot, dont il était pourtant l'un des principaux dirigeants, avait bel et bien pratiqué une politique systématique de torture et d'extermination des « ennemis » de l'État. Après avoir pendant près de 30 ans nié toute responsabilité pour un génocide qui en quatre ans fit près de 1,7 millions de victimes sur une population de huit millions environ, Khieu Samphan reconnaissait enfin dans cette lettre ouverte les exactions commises par les khmers rouges tout en affirmant toutefois « ne pas avoir compris à l'époque l'ampleur de la répression. » Ce dernier mensonge était gros, bien sûr, mais la reconnaissance du génocide par Khieu Samphan, parce qu'elle rompait le mutisme dans lequel les responsables du régime de Pol Pot s'étaient enfermés depuis presque trente ans, marquait une étape majeure dans la mémoire du génocide cambodgien. Alors que le procès de khmers rouges n'avait pas encore eu lieu et que les survivants du génocide et leurs bourreaux continuaient de se côtoyer quotidiennement, la prise de conscience du dirigeant khmer rouge brisait enfin le silence et la dénégation collective.

Mais qu'avait vu au juste Khieu Samphan dans le film de Rithy Panh pour l'amener à reconnaitre le génocide ? Qu'est-ce qui avait provoqué l'épiphanie de l'ancien dirigeant khmer rouge ? Et quelles « preuves » du génocide avaitil trouvées dans ce film que les travaux d'historiens du génocide ou d'autres films n'avaient pas pu fournir ? Certes, trente ans après le génocide, cette [End Page 18] reconnaissance tardive était sans doute opportuniste, et avait peut-être moins à voir avec le documentaire de Rithy Panh qu'avec l'ouverture anticipée du tribunal mis en place par l'ONU et le gouvernement cambodgien pour juger les responsables du génocide 2 . Mais la référence au documentaire témoigne tout de même de l'impact particulier de ce film. Qu'est-ce qui fait donc la force de ce film ? Qu'est-ce qui fait de ce documentaire, non seulement un outil de mémoire, une arme contre l'oubli, mais aussi un instrument de prise de conscience ?


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Rithy Panh, Claremont, CA, October 2005. Courtesy of Nathalie Rachlin.

S21 n'est pas le premier documentaire que Rithy Panh a consacré au génocide cambodgien 3 . Son premier film, Site II (1989), chronique la vie quotidienne d'une famille de Cambodgiens qui, ayant fui le génocide, se sont retrouvés dans un camp de réfugiés sur la frontière avec la Thaïlande. Bophana : une tragédie cambodgienne (1996), son deuxième film, reconstruit à partir de documents trouvés dans les archives de la prison S-21, la tragique histoire d'un jeune couple, Bophana et son mari Sitha, tous deux torturés puis [End Page 19] exécutés par les khmers rouges à S-21. Avec S21 : la machine de mort khmère rouge, Rithy Panh adopte une nouvelle approche. Au lieu de privilégier le témoignage des...

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