Maternité poétique et dissidence. Rina Lasnier, l'écriture, l'épreuve de la sécularisation (review)

Parmi les poètes québécois qu'on a désignés comme faisant partie des quatre solitudes (avec Hector de Saint-Denys-Garneau, Alain Grandbois, Anne Hébert), Rina Lasnier est celle qui apparaît aujourd'hui comme la plus négligée par les études littéraires, moins par des jugements négatifs à l'égard de la qualité de son œuvre qu'en raison d'une forme d'indifférence, ce qui est bien pire encore. Rina Lasnier, si elle a obtenu une reconnaissance indéniable du milieu littéraire, n'a toutefois pas suscité l'intérêt des chercheurs, qui demeurent assez peu nombreux à avoir voulu voir au delà des clichés habituels associés à une femme pour qui l'imaginaire catholique, christique et marial, fait partie intégrante du verbe poétique. Si bien qu'on ne compte qu'une publication monographique sur son œuvre, écrite par Éva Kushner à la fin des années 1960, et quelques incursions épisodiques, mais significatives (entre autres André Brochu, Jean-Pierre Issenhuth et Élisabeth Nardout-Lafarge). Ironie du sort, il fallait que ce soit une chercheure québécoise, Lucie Picard, ayant fait ses études doctorales en Italie, foyer du catholicisme, qui publie le premier ouvrage d'envergure sur cette œuvre poétique et qui, à ce titre, fera date dans les études lasnéennes.

L'intitulé qui chapeaute l'ouvrage indique clairement son orientation, laquelle rompt avec l'image quelque peu conformiste qu'on s'est plu à accoler à l'auteure de la Malemer. En inscrivant son analyse sous le signe de la maternité et de la dissidence, Picard manifeste le désir de confronter cette œuvre inclassable tout en prolongeant et en dégageant le réseau très riche de la figurematernelle que les critiques n'ont pasmanqué d'apercevoir dans cette poésie. « La maternité, écrit Lucie Picard, est une dimension cruciale de l'œuvre, par la densité de sa présence d'abord, mais également par le rôle structurant qu'elle joue dans l'élaboration par la poète de sa vision des rapports de l'être humain avec ses origines d'une part, de la création poétique d'autre part. » On devine donc que l'un des paradigmes du livre est la cohabitation, ou mieux la tension entre la tradition et la marginalisation, celle-ci étant peut-être imputable en partie à celle-là, compte tenu du contexte socio-historique québécois. L'ouvrage se divise en trois parties, respectivement « « Imaginaire du corps », « Le pôle de l'identité » et L'imaginaire de la relation ».

L'appareil théorique repose principalement sur deux approches, celles d'Antonio Rodriguez et du pragmaticien Dominique Maingueneau. Le premier, auteur du Pacte lyrique. Configuration discursive et interaction affective, est relativement inconnu au Canada, comparativement aux écrits de Jean-Michel Maulpoix et du collectif Figures du sujet lyrique de Dominique Rabaté , auxquels puise d'ailleurs cette étude. Ce qui fait l'intérêt du modèle théorique de Rodriguez, c'est son esprit de synthèse des avancées dans le domaine de l'étude du lyrisme - dont l'objet on en conviendra reste relativement insaisissable - et surtout son caractère opératoire en ce qu'il crée une distinction entre trois pactes discursifs : le lyrique, le fabulant et le critique. Or, la poésie de Rina Lasnier affiche ouvertement son contexte socio-historique canadien-français, si bien qu'elle se prête à une étude qui prenne en compte ce que Rodriguez appelle le « répertoire », concept qu'il adapte de Wolfgang Iser. La théorie de Rodriguez a séduit l'auteure notamment parce que le sujet lyrique et son répertoire sont envisagés dans leur caractè re dynamique : « L'auteur opère une sélection dans les normes extratextuelles et intertextuelles, en reprenant, rejetant, modifiant des éléments. Le travail de l...