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  • Implication sociale et documentaire au Québec, de Maurice Proulx à Éric 'Roach' Denis
  • Gwenn Scheppler

Qu'est-ce qui peut donc relier un prêtre-cinéaste enseignant à l'école d'agriculture de La Pocatière et un Squeegee de Montréal devenu cinéaste punk, qui pourrait être son arrière-petit-fils? A priori rien. Et a posteriori pas grand-chose non plus. Mais c'est dans les détails, ce pas grand-chose, que se cachent parfois des analogies surprenantes. Ce qui sera proposé dans cet article, c'est une mise en perspective historique du documentaire québécois en regard des circuits de leur diffusion, depuis les années 1930 jusqu'aux années 2000.

Si l'on interroge n'importe quel cinéaste, professeur, critique ou étudiant en cinéma au Québec, il évoquera certainement une riche tradition documentaire qui existe depuis les années 1930, des prêtrescinéastes jusqu'aux films récents de Richard Desjardins, en passant par le cinéma direct. Le Québec est un terreau favorable à cette forme cinématographique, pour des raisons qu'il s'agira de détailler plus loin. Mais l'existence d'une tradition ne signifie pas pour autant une continuité, ni dans l'engagement des cinéastes, ni dans l'interaction sociale que font naître les films. Il s'agit moins ici d'interroger ce qui a changé dans l'engagement social et politique des cinéastes, que de voir si le changement des formes de réception des films ou la dégradation des milieux de diffusion, a entraîné, sur le fond, une modification de l'optique documentaire au Québec. Pour faire court, on pourrait dire qu'il y a un avant et un après télévision, une mutation lente mais inéluctable. En définitive, ce sur quoi nous proposons une réflexion, certainement un peu polémique, c'est la qualité de la réception des films et son impact sur la façon de les penser. Il va de soi qu'on ne parle pas ici de la qualité du signal satellite ou de temps de téléchargement. [End Page 157] Comment le documentaire, cet objet éminemment social, joue-t-il son rôle de catalyseur de débats publics, et comment cela évolue-t-il? Voilà la queqssion (pour paraphraser un personnage de Perrault dans Un Pays sans bon sens, 1970). Or, pour juger de cette qualité, il n'y a pas d'audimètre et l'on se fourvoie si l'on pense en termes de quantité de spectateurs. En fait, ce qu'il faudrait chercher à savoir, plutôt, c'est si une certaine "qualité" de l'engagement social perdure dans la façon de faire et diffuser le film documentaire, si l'interaction entre cinéma et communauté demeure. Une interaction basée avant tout sur la possibilité d'interagir avec le film, de se l'approprier par la parole et la langue, de le "vernaculariser."

Pour répondre à toutes ces questions un peu saugrenues, nous procéderons en plusieurs étapes. D'abord une perspective historique du documentaire et de ses modes de diffusion: qui en a fait, et pourquoi, et quelle(s) fin(s)? Nous essaierons alors de proposer une sorte de parcours jusqu'aux années 1980 pour suivre les transformations du documentaire au Québec durant cette période. Nous verrons ensuite comment les années 1980 voient justement la base du lien entre documentaire et société s'altérer et muter, avec quelles conséquences sur la "sphère publique." Nous ferons enfin le point sur quelques films et cinéastes très notables apparus depuis lors.

1900-1920: le cinéma entre adoration et malédiction au Québec.

Ce ne sera une surprise pour personne, mais au départ, le documentaire au Québec est une affaire, sinon de religion, du moins de morale, et, d'autre part, il est artisanal, pour ne pas dire amateur.

André Gaudreault et ses acolytes ont détaillé, dans un excellent ouvrage,1 les débuts de l'industrie du cinéma au Québec, dans les...

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