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Théorie du chaos et structure narrativePatrick Brady La théorie du chaos, la plus récente des théories scientifiques1 à être appliquée au domaine littéraire, a comme source lointaine les recherches topologiques publiées vers la fin du XIXe siècle par le matiiématicien français Henri Poincaré. Longtemps négligées, ces recherches se renouvellent depuis 1960 dans l'application des ordinateurs à divers domaines scientifiques (physique, chimie, météorologie, astronomie, et ainsi de suite). Maintenant, cent ans après Poincaré, cette théorie, adaptée à l'analyse des textes, est en train de constituer l'avantgarde de la théorie littéraire des années 1990.2 L'essentiel de la théorie du chaos consiste en quatre principes formels: 1. ordre caché (dissimulé derrière une apparence de désordre); 2. hasard contraint (mouvement erratique à l'intérieur de limites établies); 3. nonlin éarité (disproportion entre cause et effet), représentée par l'effet papillon (rôle déterminant des conditions initiales); 4. auto-ressemblance, typiquement représentée par les fractales (des formes irrégulières qui se répètent d'échelle en échelle). Dans le présent essai, nous allons appliquer la théorie du chaos à trois textes narratifs du XVIIIe siècle au moyen des principes que nous venons 1 Voir Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, La Nouvelle Alliance (Paris: Gallimard, 1979), traduite en anglais sous le titre Order out ofChaos (New York: Bantam, 1984), et James Gleick, Chaos: Making a New Science (New York: Viking Penguin, 1987). 2 Voir Patrick Brady, "Chaos Theory, Control Theory, and Literary Theory," Modem Language Studies (Fall, 1990), pp. 65-79; N. Katherine Hayles, Chaos Bound (Ithaca, NY: Cornell University Press, 1990); et ma Discussion Critique de ce dernier volume dans Philosophy and Uterature (Fall, 1990), pp. 367-78. EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 4, Number 1, October 1991 44 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION d'indiquer, dans l'espoir de jeter une lumière nouvelle sur les tendances formelles qui caractérisent ces textes. "La Vie de Marianne" et l'ordre subvertí: structure rococo et effet papillon Le roman le plus célèbre de Marivaux, exemple prestigieux du style rococo,3 présente—du point de vue du style—une forte impression de décousu. Depuis le début, on y a distingué au moins trois tendances stylistiques différentes, pour ne pas dire mutuellement contradictoires: préciosité et métaphysique, réflexions ennuyeuses, et éléments ignobles. L'esthétique rococo en général comprend deux éléments: une réduction métonymique accompagnée d'une euphémisation compensatrice. Au niveau du style, la réduction métonymique est représentée par des effets de "négligence étudiée"—on est supposé se trouver devant des pages négligemment griffonnées par une femme qui ne fait que penser et causer par écrit avec une amie. Cette diversité stylistique représente l'abandon d'un principe d'ordre essentiel au classicisme: l'unité de ton (qu'on trouve non seulement dans un roman comme La Princesse de Clèves mais même dans Manon Lescaut). Néanmoins, derrière cette apparence de désordre qui caractérise La Vie de Marianne, il existe un principe d'ordre qui garantit l'unité (secrète, si l'on veut) de l'ouvrage, du ton: il s'agit de la voix et donc de la personnalité et de l'attitude de Marianne, car c'est une narration à la première personne. La narcissique parole de Marianne fournit Geuphémisation compensatrice qui accompagne cette réduction comme son ombre, et elle arrive à donner une certaine unité à l'ensemble du récit; mais sa fonction est de masquer le désordre qui règne à un autre niveau— un désordre qui provient de la décision excessivement démocratique de donner leur propre voix à l'intérieur du récit même à des personnages comme une simple tingere et un vulgaire cocher. On pourrait donc dire que le désordre (fragmentation, dissonance) qui règne au niveau du style est dissimulé par l'unité qui règne au niveau du point de vue. Ce...

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