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Aspects de l'espace-temps dans Jacques le fatalisteJean Terrasse Les études sur Gespace-temps dans l'œuvre de Diderot soulignent l'importance du problème de la simultanéité dans la réflexion du philosophe. Diderot est convaincu de l'impossibilité de la représenter par les moyens propres à la littérature. Merle L. Perkins le précise à propos de la Lettre sur les sourds et muets, le langage décrit le réel sur le mode de la successivité, tandis que les données de la sensation sont simultanées. Diderot tenterait de surmonter la difficulté dans Jacques le fataliste, roman qui par sa structure conteste la validité du cadre spatiotemporel conventionnel.1 Il y a quelques décennies, Georges Poulet réservait lui aussi un sort particulier à la Lettre sur les sourds et muets, dont il extrayait la phrase, "Le temps, la matière et l'espace ne sont peut-être qu'un point,"2 surprenante intuition d'une réalité soustraite non plus seulement à l'expression artistique , mais à la perception sensorielle. Les deux points de vue présument que l'organisation de la matière romanesque dans Jacques lefataliste résulte d'une conception personnelle de l'espace et du temps. Par ailleurs, ils ne tiennent pas assez compte des contraintes du genre littéraire utilisé ni des circonstances de son évolution. Au plan historique, la vogue du roman philosophique est due en partie à la nécessité de désamorcer les attaques menées contre les romanciers 1 Merle L. Perkins, Diderot and the Time-Space Continuum: His Philosophy, Aesthetics and Politics , Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, n° 21 1 (Oxford: Voltaire Foundation, 1982), p. 79. 2 Georges Poulet, Etudes sur le temps humain (Paris: Pion, 1950), p. 198. EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 6, Number 3, April 1994 244 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION par les moralistes chrétiens et par les littérateurs imprégnés de rationalisme ; situation dont Georges May a fait état dans Le Dilemme du roman au xvmesiècle (1963). A cette campagne de dénigrement, la réponse du roman philosophique sera triple. Puisqu'on lui reproche d'être frivole, l'écrivain se servira de la fiction pour exprimer ses idées sur la morale, sur la société, ou sur le monde en général. Il évitera les invraisemblances en ancrant l'œuvre dans le réel, quelquefois dans le terre à terre. Il neutralisera enfin ses détracteurs en blâmant et souvent en parodiant les procédés du conte de fée. A cet égard, Candide reflète bien certaines tendances essentielles du roman philosophique. Nous y trouvons les trois attitudes qui viennent d'être mentionnées. L'œuvre de Voltaire apparaît comme une variante du roman baroque dont elle ridiculise les conventions, plutôt que comme sa négation. Le chronotope du roman philosophique offre ainsi des analogies avec l'espace-temps du roman d'aventures, lui-même dérivé du roman antique, suivant l'hypothèse de Bakhtine. Le schéma romanesque ne diffère guère de celui dont s'est moqué le Père Bougeant (1690-1743) dans sa satire de la Romande. Arrivé dans ce pays, le Prince Fan-Férédin apprend "qu'on y entre [...] par la porte d'amour, et qu'on en sort par celle du mariage." Plus tard, le Prince Zazaraph le renseigne: "la traite est longue depuis lejour qu'on commence à aimer, jusqu'à celui où l'on s'épouse," car "depuis la fondation de la nation Romancienne aucun héros" n'a jamais "été dispensé des formalités, et des épreuves ordonnées par les lois."3 Contrairement à Prévost, que le Père Bougeant prend fréquemment à partie, Voltaire évite les digressions inutiles, et s'entend à faire court; mais le souci de sobriété n'empêche ni les rebondissements ni les récits intercalaires.4 Bakhtine note que Candide s'écarte des romans baroques en ce que les héros sont devenus méconnaissables dans le dernier chapitre, que "la belle Cunégonde" en particulier finit en "vieille sorcière hideuse."3 Pourtant, Voltaire n'a pas tenté de recréer...

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