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Le Temps du libertinage: Les Egarements du cœur et de l'esprit de Crébillon filsAnne Richardot Les Égarements du cœur et de l'esprit sont à la fois des mémoires et un roman d'éducation: deux genres fort à la mode au xviir5 siècle, qu'ils se combinent, comme ici, ou non. L'une et l'autre de ces deux formes littéraires, chacune à sa manière, supposent une réflexion sur le temps: les Mémoires qui, comme l'indique leur appellation, retracent les souvenirs du narrateur mûri, font coïncider l'acte narratif et le travail d'anamnèse; le roman d'éducation est, pour sa part, inséparable de la notion d'évolution, d'acquisition progressive—d'un savoir, d'une maturité—que comporte nécessairement l'apprentissage.1 Le texte de Crébillon est ainsi marqué par une double temporalité: celle, interne, qui structure le récit de ces quelques semaines de la vie de Meilcour, et celle qui, en aval, est constituée par le présent de l'écriture du narrateur. D'autre part, la société dans laquelle évolue le jeune Meilcour—que l'on peut supposer être celle de la Régence2— établit de fréquents rapprochements avec les générations précédentes, 1 Sur le canevas traditionnel de ce genre romanesque, voir Claude Reichler, "Le Récit d'initiation dans le roman libertin," Littérature 47 (1982), 100-12. 2 Epoque charnière qui, en rompant avec l'esprit du siècle de Louis xiv, inaugure une nouvelle ère. Le règne de Philippe d'Orléans, par le laxisme moral et les légendaires débauches qui l'accompagnent, donne le ton: ce n'est plus à la cour que se presse la noblesse mais au fond des boudoirs; les exploits militaires s'effacent devant ceux, non moins stratégiques, qui prennent les alcôves pour champs de bataille; et l'honnête homme devient petit-maître. Cette mutation fait l'objet d'une étude approfondie de Philip Stewart: "Les huit ans que dura la Régence eurent pour résultat de changer sensiblement l'atmosphère morale du royaume." Le Masque et la parole EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 6, Number 2, January 1994 142 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION dont l'évocation installe un amont du récit. Ce fragment de biographie se lit ainsi à la lumière de deux modèles, qui sont aussi deux referents temporels entre lesquels il prend place: l'un, fort peu datable, peut correspondre aussi bien au siècle précédent qu'aux temps héroïques—et mythiques—de la chevalerie; l'autre renvoie au moment de la narration , à l'heure où le Meilcour assagi prend la plume du mémorialiste. Tout le début des Égarements met en parallèle ces trois ères, considérées dans leurs pratiques amoureuses, proposant ainsi une "image contrastée des mœurs de la société moderne et des mœurs anciennes" comme le souligne Bernadette Fort, qui voit dans cette opposition de perspectives un schéma souvent exploité par Crébillon pour insister sur les mutations et le profond "bouleversement moral" qui affectent la société dans laquelle le romancier fait évoluer ses personnages.3 Ces trois ancrages temporels sont respectivement désignés dans le roman par les adverbes "autrefois," "alors," et "maintenant" ou "aujourd'hui." L'époque du récit, "la façon dont alors [les femmes] pensaient," "ce qu'alors les deux sexes nommaient Amour,"4 s'oppose ainsi aux usages révolus que rapportent "d'anciens Mémoires." Deux générations féminines sont mises en balance: Les femmes étaient autrefois plus flattées d'inspirer le respect que le désir. [...] Celles de mon temps pensaient d'abord qu'il n'était pas possible qu'elles se défendissent; et succombaient par ce préjugé dans l'instant même qu'on les attaquait, (pp. 71-72) A ce temps de sa jeunesse, à cet "alors," s'oppose à son tour le présent du mémorialiste: Les moeurs ont depuis ce temps-là si prodigieusement changé, que je ne serais pas surpris qu...

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