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Qu'est-ce qu'un roman anglais? D'Emma Courtney à La Chapelle d'Ayton Shelly Charles La production littéraire des dernières années du XVIIIe siècle en France est marquée par l'abondance des romans venus d'Angleterre . Dans un contexte littéraire national encore perturbé, ils sont attendus avec impatience et traduits dès leur parution, parfois en plusieurs versions concurrentes. La critique, même quand elle est favorable au roman anglais en général, comme c'est souvent le cas, déplore l'absence de toute sélection parmi les textes à traduire. Les journalistes de la Décade, grands adeptes du «genre anglais», estiment que «les traductions [...] faites sans discernement, sans goût et sans choix, sont une plaie véritable», et parlent de «traducteurs à la toise» qui «donnent [les romans anglais] au public de Paris quinze jours après qu'ils ont paru à Londres».1 Dans ce contexte où l'on traduit tout, et où la vitesse de l'exécution implique souvent une démarche littérale qui n'a que peu à voir avec le «respect» du texte, le sort réservé au roman de Mary Hays, Memoirs ofEmma Courtney, mérite d'être signalé. Paru en 1796, il ne trouvera en effet preneur qu'en 1799, année record, en France, de la production romanesque, aussi bien originale que traduite.2 Mais alors, c'est 1 ¡Ji Décadephilosophique, liuérahe et fwlilique, 10 messidor an 5 (28juin 1797), 45-46. 2 Le deuxième roman de Mary Hays, The Victim ofl^ejudicr (1799) sera, lui, traduit sans délai. Emma Cointney est annoncé enjuillet 1799 et l/i Victime des préjugés en novembre 1799. EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 15, Number 2,January 2003 282 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION sous une forme nouvelle qu'il va être donné au public français. Memoirs ofEmma Courtney devient La Chapelle d'Ayton ou Emma Courtney ^ Le récit intimiste à la première personne double de volume et se transforme en un roman de mœurs à la troisième personne. La critique,'1 qui reconnaît à ce dernier une ambition et une vigueur inhabituelles pour un roman de femme, ignore tout de l'original. «Il existe une Chapelle d'Ayton en anglais», affirme le Mercureà l'occasion de la deuxième édition de 1810, avant de poursuivre: «l'auteur de notre roman avait d'abord voulu traduire cet ouvrage; mais, au lieu de le traduire, il l'a refait».«L'auteur de notre roman» est une femme de lettres au début de sa carrière: la future Mme Guizot, moraliste et auteur d'ouvrages pédagogiques, alors Mlle de Meulan, auteur la même année d'un petit roman satirique intitulé Les Contradictions ou ce quipeut en arriver, et bientôt essayiste au Publiciste, lejournal deJ.B. Suard, où elle écrira à la fois des articles de critique littéraire et des textes satiriques et moraux.5 Malgré l'apparence accrocheuse d'un titre «gothique», elle se sert en réalité d'Emma Courtney comme d'un «portail» d'accès aux grands romans qui ont marqué l'époque, un «portail» à partir duquel La Chapelle d'Ayton dessine son propre parcours, sinueux mais cohérent. Elle nous offre ainsi un compendium de la tradition romanesque anglaise, une œuvre où s'entrecroisent et dialoguent les textes fondamentaux du genre, et sans doute l'un des romans français les plus originaux que l'on ait écrit en cette fin du XVIII0 siècle. Corriger Emma Courtney Transformation idéologique et transformation générique Dans sa préface à La Chapelle d'Ayton ou Emma Courtney, Mlle de Meulan explique: «Je voulais traduire un livre anglais; le hasard me fit tomber sur un roman en deux volumes, nommé Emma Courtney. En 3 Les références au texte français renvoient à la dernière édition revue et corrigée par l'auteur (Paris: Maradan, 1810). Les références au texte anglais renvoient à l'édition d'EleanorTy (Oxford: Oxford University Press, 1996). 4 Journal de Pairs, 24 thermidor an 7 (11 juillet 1799); Veillées des muses, germinal an 8 (avril 1800), 74...

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