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Le "dangereux dépôt": virginité et contrat dans Julie ou la nouvelle Héloïse Nadine Bérenguier Le christianisme et la morale qui en découle ont fait de la virginité l'objet d'un culte exceptionnel. «Quasiment inconnue de l'Ancien Testament, méprisée des païens qui n'en forgent que des caricatures, falsifiée par les hérétiques, la virginité est le lot de la seule église chrétienne», affirme Marie-Odile Métrai dans Le mariage. Les hésitations de l'Occident.1 Historiquement, la doctrine sexuelle de l'Église donna à la virginité un rôle absolument privilégié par rapport au mariage. Saint Paul, dans VEpître aux Ephésiens et la première Epître aux Corinthiens fit de la virginité un état idéal et du mariage un pis-aller, puisqu'il permet la sexualité, et sa position fut retenue par les Pères de l'Église latine, saint Jérôme (dans VAdversus Jovinianum) et Grégoire le Grand. Pendant une première phase, donc, les dirigeants de l'Église latine éloignèrent le mariage du sacré au profit de l'idéal de chasteté. 1 Marie-Odile Métrai, Le mariage. Les hésitations de l'Occident (Paris: Aubier-Montaigne, 1977), p. 24. Dans la note qui suit cette remarque, Métrai se réfère à Ambroise de Milan, Des Vierges, I, 15 et sq., P.L. XVI, 187 et indique que «la virginité des vestales est provisoire et lucrative». Métrai étudie les théories chrétiennes qui ont fondé l'idéologie de la sexualité et de la relation conjugale. Michel Foucault, de son côté, exprime des doutes sur la rupture massive du christianisme avec les morales sexuelles qui l'ont précédé dans «Le combat de la chasteté», Communications 35 (1982), 15-24. Article extrait du troisième volume de l'Histoire de la sexualité, Le souci de soi (Paris: Gallimard, 1984). EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 9, Number 4, July 1997 448 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION Ce constat pousse Métrai à formuler les questions suivantes: «Le mariage n'est-il pas, dans le système de l'éthique occidentale, écart de la virginité sur le registre même de la virginité? Le mariage est-il autre chose qu'une continence travestie? Pourquoi le mariage, mis sous le joug par la virginité, n'est-il pas l'espace de l'érotisme, alors que la virginit é le devient tout en le transposant»?2 En effet, même quand, à partir du douzième siècle, une tendance plus favorable au mariage l'emporta pour aboutir au mariage-sacrement, institution divine et de nature sacrée, la sexualité conjugale dut être limitée à la reproduction. C'est bien de joug de la virginité que Métrai peut parler puisque la continence restait la règle si la procréation était impossible. Étant donné les rôles moral, économique, politique et social joués par l'Église catholique depuis des siècles, il n'est pas étonnant que l'idéal chrétien de la virginité soit fréquemment analysé comme façonnant différentes représentations de la sexualité, y compris ses représentations littéraires, que cet idéal soit exalté ou discrédité. C'est par la morale chrétienne que l'on explique le plus souvent l'obsession de la virginit é et de la chasteté féminines, qui caractérise quantité de romans des dix-septième et dix-huitième siècles, justement qualifiés d'«hyménocentriques ».3 Cependant, dans la mesure où le discours religieux n'établissait pas de distinction entre virginité masculine et féminine,4 il est certain que d'autres influences culturelles mitigèrent la doctrine d'origine.5 Parmi celles-ci, le droit civil tient une place de choix pour les franches distinctions qu'il établit entre les transgressions sexuelles masculines et féminines. J'aimerais donc déplacer l'accent de la morale chrétienne vers les lois séculières en vigueur pendant l'Ancien Régime afin de déceler la présence de ce substrat légal dans le roman «hyménocentrique» 2...

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