In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Le Voyage sadien en Italie: Ia Révolution française comme politique libertine dans YHistoire de JulietteMiaden Kozul La prédominance de l'espace fermé chez Sade est depuis longtemps un des lieux communs de la critique. Les travaux de Jean-Jacques Brochier et de Roland Barthes, qui tirent leurs conclusions surtout de l'examen des Cent Vingt Journées de Sodome, marquent les temps forts de l'instauration de ce topos interprétatif.1 Il est périodiquement renforcé par les approches plus ou moins biographiques qui mettent l'omniprésence de la clôture fictionnelle en relation avec les incarcérations successives de l'auteur.2 Mais en réalité, l'enfermement sadien n'estjamais sans s'inscrire dans un déplacement: l'architecture diégétique des lieux clos, comme le rôle du voyage explicité dans l'Idée sur les romans en 1800,3 commencent à s'élaborer tous les deux dès le Voyage d'Italie, auquel Sade travaille dans 1 Voir Jean-Jacques Brochier, «La circularité de l'espace», Le marquis de Sade (Paris: Colin, 1968), et Roland Barthes, Sade, Fourrier, Loyola (Paris: Seuil, 1971). 2 Ainsi, pour souligner la différence entre Mirabeau et Sade, Alain Clerval affirme que «l'univers carcéral ne dépayse guère [Sade], tant la sombre eschatologie qui l'habite, tant la noirceur de l'univers qu'il porte en lui appelle le cachot». Préface àL'Éducation de Laure de Mirabeau, L'Enfer de la Bibliothèque Nationale (Paris: Fayard, 1984), t. 1, p. 302. En réalité, tout en complétant le réseau de thèmes sadiens, l'enfermement n'a fait que renforcer la vocation d'écrivain. JeanJacques Pauvert fait bien de remarquer qu'en six ans de pleine liberté, entre 1794 et 1801, Sade a produit «plus de double de ce qu'il avait écrit, rageusement et par intermittence, en treize ans de forteresses royales». Voir Jean-Jacques Pauvert, Cet écrivain ajamáis célèbre, 1793-1814, Sade vivant, t. 3 (Paris: Laffont, 1990), p. 281. 3 Voir D.A.F. marquis de Sade, Idée sur les romans, Œuvres complètes (Paris: Pauvert, 1986), t. 10, pp. 74-77. Les références renvoient à cette édition. Nous les signalerons par l'abréviation «OC» EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 10, Number 4, July 1998 468 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION les années 1770. Autant dire que la diversification géographique trouve sa place dans le creuset même de l'écriture sadienne. Depuis sa première apparition, le double thème du malheur de la vertu et de la prospérité du vice est constamment lié aux déplacements, dépaysements et voyages qui, au fil des réécritures et des remaniements, ne cesseront de gagner en importance. Mais les raisons n'en sont pas à chercher uniquement dans la tradition romanesque ou dans la poétique de l'auteur. Les romans clandestins qui racontent les périples de Justine etde Juliette, aussibien qu'Aline et Valcour , sont publiés à une époque qui fait basculer la France d'un monde dans un autre. Ils s'inscrivent dans un moment historique et dans un horizon d'attente inédits. Et ce sont justement les rapports entre le monde connu et le monde autre qui vont organiser la topographie fictive des romans rédigés dans les années 1790: au lieu d'apparaître comme l'exemple d'une littérature carcérale, le roman sadien se transmue alors en vertige des espaces ouverts. Dans la Nouvelle Justine, non seulement l'héroïne ne cesse de sillonner la France, prolongeant ainsi le mouvementde Justine ou les Malheurs de la vertu, mais dans un long épisode, intitulé «Histoire de Jérôme», le moine Jérôme relate ses voyages en Prusse, en Italie, en Afrique. Dans YHistoire de Juliette, la sœur de la malheureuse Justine traverse l'Italie du nord au sud; le Moscovite géantMinski parcourt la Chine, la Mongolie, le Tatarstan, toute l'Asie, avant d'alleren Amérique et en Afrique. Brisa-Testa voyage en Hollande, en Angleterre, en Suède, en Russie, en Sibérie, en Astrakan, en...

pdf

Share