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AUTHOR AND BOOK Entre l'éthique et l'esthétique: séduction et préface de roman dans la première moitié du xviiie siècle Mladen Kozul etJan Herman En 1979, Claude Reichler etjean Baudrillard étaient de ceux qui s'efforçaient à dégager les caractéristiques constantes du discours séducteur, et ce en dehors de tout découpage diachronique.1 Shoshana Felman et, plus récemment, Pierre Hartmann ont marqué les étapes menant de l'identification d'un discours séducteur subversifvers une approche historique de la séduction dans la littérature.2 Dans des proportions différentes, ces études assument l'application de la notion moderne de séduction à une époque où les sens du verbe séduire et de sa famille des mots diffèrent des nôtres. De ce point de vue, parler de la séduction dans le roman libertin du XVIIIe siècle paraît plus aisée, la séduction amoureuse y étant facilement 1 «Le discours et le texte [séducteurs] non seulement portent l'accent sur la force de détournement dans le langage, sur son pouvoir de disjonction, mais aussi dénoncent cette puissance dans la loi elle-même, entraînant leur auditeur ou leur lecteur dans une vrille sans fin» . Claude Reichler, La Diabolie. La séduction, la renardie, l'écriture (Paris: Les Editions de minuit, 1979), p. 16. Voir aussiJean Baudrillard, De la séduction (Paris: Galilé, 1979). 2 Dans cette perspective, la séduction serait «l'ensemble des attitudes culturellement déterminées (ruse, subornation, tromperie), qui ne s'opposent pas seulement à cette forme juridique du contrat intersexuel qu'est le mariage, mais, plus essentiellement, à la subjectivation d'un tel contrat sous les auspices de la bonne foi, de la loyauté et de la transparence» . Pierre Hartmann, Le Contrai et la séduction. Essai sur la subjectivité amoureuse dans le roman des Lumières (Paris: Honoré Champion, 1998), p. 13. Voir aussi Shoshana Felman , Le Scandale du corps parlant. Donjuán avec Austin ou La Séduction en deux langues (Paris: Seuil, 1980). EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 14, Numbers 3-4, April-July 2002 252EIGHTEENTH-CENTURY FICTION assimilable au sens moderne. Mais même dans ce cas, comme l'a rappel é Robert Damton, la facilité peut s'avérer piégée si l'on ne prend pas en compte les spécificités génériques et historiques des romans du temps.3 Les difficultés surgissent en effet dès qu'il s'agit de dénicher les occurrences de «séduire» ou de «séduction» dans le paysage discursif de l'âge classique. Frédéric Deloffre remarque que, malgré toutes les péripéties amoureuses qui ponctuent les Illustresfrançaises de Challe, «aucun des mots qu'on penserait y rencontrer, séduire, séducteur, séductrice, séduisant, séduction, n'y figure, fût-ce une seule fois».4 C'est qu'au début du xvme siècle, séduire, séduction, séducteur, restent ancrés dans leur sens classique, sur lequel insistent les dictionnaires de Jean Nicot (1606), de Richelet (1680), de Furetière (1690), de l'Académie (1694). Ainsi chez Furetière la séduction est«tromperie, engagement dans l'erreur, ou dans le péché»; séducteur (adj. et s.m.) est ce ou celui «qui trompe, qui abuse les peuples, ou les particuliers».5 Toujours entachée d'une certaine violence, la séduction est l'apanage du diable, de Mahomet, des hérétiques et des débauchés. Qu'il s'agisse de séduire les sens ou la raison, elle détourne du droit chemin par la parole ou par l'écrit. A preuve, la séduction de «tout le septentrion [...] par les écrits de Luther et de Calvin».6 Au début du xvine siècle, la séduction implique le soupçon qui pèse sur le langage persuasif: la méfiance envers toute prise de parole non autorisée se greffe sur la coupure consommée de longue date entre l'éthique et le rhétorique.7 Mais au cours des décennies 3 Robert...

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