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Une nouvelle géographie épistolaire dans quelques romans féminins de l'Emigration Éric Paquin La communication épistolaire est un outil qu'utilisait déjà le groupe social auquel appartenaient les émigrés—comme le montre la littérature romanesque du xvme siècle—qui communiquaient le plus souvent à l'intérieur même de Paris d'un hôtel particulier à un autre, par valets interposés chargés de transmettre les missives, mais également très facilement de Paris à la province depuis la réorganisation du service régulier des postes par Louvois en 1668. Dans un roman comme Les Liaisons dangereuses, certains aléas matériels de la correspondance, tels la publication des lettres ou leur croisement, jouent un rôle évident et dynamique, influen- çant, parfois de façon dramatique, la marche même du récit et le contenu diégétique. Toutefois, la stabilité de la petite société aristocratique parisienne à l'intérieur de laquelle est confinée la majeure partie des échanges, société limitée tant géographiquement et culturellement que socialement, offre peu de place à d'autres formes d'angoisse, tels la perte fréquente des lettres, la censure gouvernementale , le retard excessif ou la difficulté de trouver un courrier de confiance, sujets dont le contenu des lettres fictives ne fait que rarement mention. Au Grand Siècle, c'est la distance géographique et le recours à la poste outre-frontières qui provoquaient les plus grandes inqui études. Bernard Bray explique que ce n'est qu'avec les premières lettres expédiées en Provence à la comtesse de Grignan qu'apparaît EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, Volume 14, Number 1, October 2001 32EIGHTEENTH-CENTURY FICTION dans la correspondance de la marquise de Sévigné la rubrique consacr ée au transport postal,1 quasi absente de la correspondance strictement parisienne et beaucoup moins développée dans les échanges Paris-Bretagne, qui s'effectuent sans heurts ni retards. Un siècle après la célèbre épistolière, la poste européenne présente une relative fiabilité d'un empire à l'autre. Par contre, l'interception par le nouveau gouvernement du courrier de la noblesse émigrée, soupçonnée de trahir la patrie durant la Terreur, a contribué, comme toute censure, à de profondes modifications dans la correspondance , qui vont du contenu à la forme de la lettre en passant par une modification du support (qualité du papier) et du porteur de la missive. Cet état de fait se trouve inscrit de façon constante dans les récits par lettres de l'Émigration, et plus particulièrement dans le paratexte des lettres: en-tête, datation, signature, mais aussi ouverture et clôture. Si la correspondance réelle ou fictive dans la société du xvne et du xvme siècle est traversée par le lieu commun de l'attente du postillon—et de la régularité ou non de ce dernier—le récit de l'Émigration, moins préoccupé de la distance géographique ou de la vétusté du système postal, aura le sien dans la mention du danger constant que court la missive dès qu'elle entre dans cet espace déréglé de circulation du courrier que constitue, paradoxalement , le pays qui a pratiquement inventé la poste moderne. En effet, tandis que, de l'Angleterre et des Pays-Bas à l'Allemagne, en passant par la Suède, le Danemark, l'Italie, la Suisse, l'Autriche et la Russie, le courrier des émigrés est représenté comme circulant normalement entre les membres dispersés des clans, le moindre billet à pénétrer en territoire français, ou à en sortir, est soit codé, à tout le moins signé d'un pseudonyme, soit rempli de précautions à prendre pour la bonne marche du courrier. En nous appuyant en partie sur la réalité historique, nous nous proposons de voir comment quelques romancières—Isabelle de Charrière, Mme de Genlis, Emilie Toulongeon, Mlle Polier de Bottens et Mme Cazenove-d'Arlens—ont su traiter cette question et de relever les mentions relatives à l'importance que prit la censure révolutionnaire. Nous verrons ensuite les diff...

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