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Variations du roman-liste: du temps individuel au temps historiqueMichel Delon y,T|ame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop ^-L^chaud, ni de trop froid pour lui; et sije te disais le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durerjusques au soir». L'évocation des victimes féminines de Don Juan, dans la bouche du SganarelledeMolière, neprendpas laforme d'un catalogueproprement dite. Il suffitau valetd'évoquerune diversitéde statutjuridique, de position sociale ou de tempérament au sens médical du terme, sans dérouler la liste qui apparaît chez les imitateurs italiens et français de Tirso de Molina pour trouver sa forme triomphante dans l'opéra de Mozart. Leporello semble se prendre au jeu donjuanesque dans son aria du premier acte et chanter la virtuosité d'un pareil séducteur: In Italia seicento e quaranta, In Alemagna duecento e trent'una; Cento in Francia, in Turchia novant'una, Ma, ma in Ispagna, son già mille e tre! V/han fra queste contadine. Cameriere, cittadine; V han contesse, baronesse, Marchesine, principesse, E v'han donne d'ogni grado, D'ogni forma, d'ogni età. Et le catalogue se poursuit avec des diversités de couleur (la blonde et la brune), de corpulence (la grassouillette et la maigrichonne), d'âge et de EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, volume 13, numéros 2-3, janvier-avril 2001 260 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION richesse. Le catalogue qui est un thème central du mythe de Don Juan1 et plus généralement du libertinage est lié à la forme théâtrale qui doit concentrer les aventures de «l'épouseur à toutes mains» avant la crise finale et présenter un bilan de ses exactions. La comédie de Molière ne montre sur la scène que les relations du séducteur avec Elvire, Charlotte et Mathurine. La forme romanesque a moins besoin de ce réquisitoire en forme de comptabilité, car elle dispose d'une temporalité longue, elle peut développer le «chapitre à durer jusques au soir». Il lui arrive alors de se confondre avec la litanie des séductions, devenue la matière narrative ellem ême. On considère que Robert Challe esquisse ce roman-liste dès 1713 dans la sixième nouvelle des Illustres Françaises et que Charles Duelos en parfait le modèle en 1741 avec Les Confessions du comte de ***.2 La technique peut décevoir si elle se contentedepasseren revuedes silhouettes qui n'ont pas le temps de devenir des caractères et des personnages. Elle constitue pourtant une forme-limite qui aide à penser l'histoire du genre durant tout le xvme siècle, c'est-à-dire après la publication du roman de Duelos mais aussi rétrospectivement, avant 1741.«C'est l'usage parmi les amants de profession d'éviter de rompre totalement avec celles qu'on cesse d'aimer. On en prend de nouvelles, et on tâche de conserver les anciennes, mais on doit surtout songer à augmenter la liste».3 Le comte met en pratique ses principes et la première partie de ses confessions fait défiler près d'une vingtaine de noms féminins. La facilit é des liaisons risquerait d'épuiser l'intérêt romanesque, si la variété des maîtresses du comte n'ébauchait une typologie féminine. Ses deux premières liaisons donnent le ton: «Je vécus quelque temps avec Mme de Rumigny commej'avais fait avec Mme de Valcourt, etje m'en dégoûtai encoreplus promptement. Mapremière etma seconde aventure n'annonçaient pas un caractère fort constant».4 Un intermède espagnol introduit alors un peu de passion et de danger dans la facilité généralisée. Messages secrets, déguisements, meurtre, fuite rendent à l'amour une dimension dramatique qui lui manquait à Paris. Les aventures italienne et anglaise que 1 Voir Gwenhaëlle Plouhinec, «Catalogue», Dictionnaire de Don Juan, sous la direction de Pierre Brunei, coll. Bouquins (Paris: Robert Laffont, 1999). 2 Charles Duelos, Les Confessions du comte de ***, édition critique de Laurent Versini (Paris: Librairie Marcel Didier, 1969), p. xiii; et Laurent Versini, Laclos...

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