In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Le Mot «roman»Jean Sgard Le mot «roman» a été, pendantplus d'un siècle, l'enjeu de controverses passionnées qui ont porté sur le genre entier du récit de fiction, sur sa valeur littéraire, sur son histoire et son avenir: il s'agit essentiellement du mot, caril estpossible que la réalité du genren'aitjamais été profondément affectée. Le mot «roman», lui, a désigné toutes sortes de récits, tour à tour approuvés ou refusés; il a été exalté, méprisé, réhabilité; il a référé à des poétiques successives, il a créé toutes sortes de malentendus; il a dessiné, autourd'un ensemble flou de fictions, une frontière mouvante qui visait à le constitueren genre. Le dictionnaire deRobertnous rappelle que le mot «roman » a d'abord désigné un «récit en vers français (en roman) adapté des légendes antiques de la littérature latine, et où dominent les aventuresfabuleuses et galantes». Il apparaît vers 1150 à propos du Roman de Thèbes et à'Énéas; il couvre bientôt le domaine immense du roman arthurien, puis du roman chevaleresque et galant jusqu'aux Amadis. Cette conception est très présente dans les débats de l'époque classique: Chapelain, Huet, Scudéry et plus tard Lenglet-Dufresnoy, Laffichard, Paulmy, le marquis de Sade s'y sont référés; et Cervantes, qui est peut-être leur source commune, l'avait constamment présente à l'esprit.1 Dans les années 1640 cette conception a fait l'objet d'une mise à jour. Une nouvelle esthétique 1 Ces réflexions s'inspirent d'un petit livre que j'ai publié récemment: Le Roman français à l'âge classique (Paris: Livre de poche «Références», 2000). Une anthologie de textes y donne une bonne partie des exemples cités ici. Les autres exemples me viennent de l'Anthologie publiée par Henri Coulet à la suite de son Roman jusqu'à la Révolution, t. 2 (Paris: A. Colin, 1968). On trouvera dans le Recueil de préfaces de romans du xvttf siècle, éd. Jan Herman, t. 1, 1700-1750 (Saint- Étienne: Publications de l'Université de Saint-Étienne, 1999) un grand nombre de textes rares; la base FRANTEXT, pour 1600-1800, nous offre 575 occurrences (308 au pluriel et 267 au singulier). EIGHTEENTH-CENTURY FICTION, volume 13, numéros 2-3, janvier-avril 2001 184 EIGHTEENTH-CENTURY FICTION du roman s'est affirmée, qui sans s'opposer à la tradition, l'adaptait au goût nouveau, plus épris de vraisemblance, d'ordre et de raison: sous le nom de «roman», on a désigné dès lors une longue et belle histoire de passion et de gloire, exprimée dans un langage raffiné. Or cette notion est violemment attaquée à l'époque des «Modernes», vers 1680, et le mot«roman» est progressivement renié; on serait tenté de croire qu'il dispara ît du vocabulaire esthétique; les titres et sous-titres, les préfaces, les textes théoriques semblent le proscrire, et les romanciers tendent à lui substituer les termes «histoire», «mémoire», «récit», «lettres», etc. L'article«Roman» de GEncyclopédie enregistre les valeurs les plus négatives du terme, celles qui avaient cours au temps de la querelle des Anciens et des Modernes, et pour Jaucourt, le mot «roman» semble en voie de disparition . Sans doute faut-il il tenir compte d'une dénonciation du roman de la part des esprits les plus rationalistes du xvme siècle, mais cette condamnation réapparaît jusqu'à la fin du siècle dans nombre de traités et de préfaces. Et pourtant, par un curieux paradoxe, plus le mot est contest é par les romanciers, et plus il s'impose en profondeur comme étant le terme générique, celui qui exprime le mieux l'essence du récit de fiction; et à partir du milieu du siècle, il a déjà retrouvé sa valeur; c'est ce vaste débat que l'on envisagera ici. Ce qui nous intéresse est moins l'exclusive apparente portée contre le mot «roman» au xvme...

pdf

Share