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  • Mémoires de fils et mélancolie bipolaire
  • Marc Dambre

Théâtre des violences extrêmes, le XXe siècle a déçu les espérances placées dans les grandes utopies; et, depuis une trentaine d'années, il a été beaucoup question de la fin. Le siècle a généré des deuils souvent indépassables, tant sur le plan affectif des expériences qu'au niveau intellectuel, des idéologies, et moral, des engagements. Avec « la fin de l'Histoire », on cherchait peut-être à se délivrer du désenchantement. La mélancolie, sourdement, n'a cessé d'être une thématique prégnante. Les mélancolies, faut-il dire, puisqu'elle n'est ni concept ni idée, mais plutôt une affection du corps et de l'esprit dont la perception diverse a traversé l'Occident pendant plus de deux millénaires. Sa pluralité et son actualité ne se démentent pas, de l'anthologie Mélancolies1 à l'exposition Mélancolie, génie et folie en Occident2.

Une fortune nouvelle a été donnée par Freud, on le sait, à la mélancolie, définie comme une déviation pathologique, caractérisée par la non acceptation de la perte et, donc, de la réalité : le deuil devient mélancolie, fixation sur l'objet perdu, malaise ou dépression3. Ici sera retenue, en marge de l'approche analytique, l'idée d'un sentiment de perte irréparable. Parmi l'histoire res gestae, on envisagera la Seconde Guerre mondiale et ses violences comme objet de représentation, et comme entité de réflexion.

Depuis le début de notre XXIe siècle, parfois même avant, les œuvres qui prennent en charge ces événements émanent de moins en moins des survivants de cette histoire. La plupart des auteurs, nés plus tard, transposent la mémoire dans des récits fictionnels, d'ailleurs souvent d'apparence testimoniale.

C'est dans cette catégorie que seront étudiées des fictions narratives de Marie-Odile Beauvais, Yannick Haenel, Fabrice Humbert, Patrick Modiano, Olivier Rolin et Boualem Sansal. Les œuvres ont paru en notre début de millénaire, sauf Dora Bruder, exception de référence. Ces auteurs recherchent, filent et tissent les fils d'une mémoire. Mais de cette mémoire qui s'éloigne ils ne sont souvent que les petits-fils, et la mélancolie y a gagné en diversité, jusqu'à changer d'orientation. Ainsi peuvent se déterminer trois horizons d'étude : histoire des fils et fins de la littérature, fiction et polarité mélancolique positive, filiations de troisième génération. [End Page 97]

Histoire des fils et fins de la littérature

Olivier Rolin se réfère à Chateaubriand pour se définir comme mal placé dans son époque. Et pour y trouver le « vrai de l'écriture »4. Le porte-à-faux historique caractérise les romans que le déclin de la Révolution lui inspire, de Phénomène futur à Tigre en papier, mais ce roman s'ouvre sur la formule : « La mélancolie historique tu l'as tétée avec le lait de ta mère »5, et celle-ci est associée à « la Mère des défaites », l'effondrement de 1940. Et, à y regarder de près, dans la perspective internationaliste dominante, la Seconde Guerre mondiale fait partie des traumatismes hérités. La source de la fiction se situe dans la frustration du désir politique, dans une histoire désormais sans fin ni eschatologie. Le narrateur de Méroé entreprend une histoire pour expliquer pourquoi il s'est enfermé dans un hôtel de Khartoum en marginal de l'Histoire. Il s'est attaché à ce Soudan où les civilisations ont perduré sans logique de succession ni de progrès, où un royaume chrétien a pu subsister jusqu'au XVIe siècle à l'insu de tous. Avec l'archéologue Vollender, sarcastique face au « sens de l'Histoire » de la R.D.A. disparue, il fait de l'histoire un espace de substitution. En effet, ces chasseurs de chimères affrontent une histoire...

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