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  • La dialectique de l’espace dans Harry Potter: le motif du passage secret
  • Caroline de Launay (bio)

Introduction

L’œuvre de J.K. Rowling, le cycle Harry Potter, interpelle le lecteur par un décor où une réalité semblable à la sienne côtoie l’imaginaire de la fantasy, avec monstres, héros et magie. Cette dualité entre la réalité et l’imaginaire a été perçue par la critique soit comme clairement définie (Gupta 56), floue (Stephens 55) ou bien les deux (Eccleshare 66–68).1 Il apparaît donc essentiel de porter un regard approfondi sur la localisation dans les romans de Rowling. Le but n’est pas de clore le débat en apportant une solution à la problématique soulevée, mais plutôt de participer à ce que Isabelle Smadja et Pierre Bruno ont appelé « une culture critique partagée » qui enrichit la connaissance et la compréhension de l’œuvre (13).

Pour ce faire, nous faisons une constatation de départ, à savoir que le récit met en évidence deux ensembles de lieux qui forment des unités cohérentes et identifiables: le monde des Moldus et le monde des sorciers. Pour simplifier, nous pourrions dire que le premier ensemble fonctionne selon les lois de la normalité, ou naturelles, tandis que l’autre obéit aux règles de la magie, donc surnaturelles.2 Nous nommerons ces ensembles des systèmes topologiques: le mot « système » évoque le fonctionnement commun des lieux permettant leur classement dans l’une ou l’autre catégorie, et « topologique » indique qu’il y a identification du lieu par les personnages, identifiables comme Moldus ou sorciers.3

Ces deux systèmes se partagent une même étendue géographique, ce qui implique une logistique dans le récit afin de garder plausible et possible leur mitoyenneté. Il faut souligner que l’univers de l’œuvre n’est que partiellement cartographié: les régions où vivent les sorciers ne sont pas toutes indiquées.4 Le récit privilégie alors certains éléments qui, même en nombre restreint, en suggèrent l’étendue.5 Or, il en va de même pour les régions habitées par des Moldus: « These magical, mysterious . . . places are part of the Muggle world, just as the Muggle world is part [End Page 40] of the magical world as well » (Vehkanen 14). Il est donc nécessaire d’imposer des repères précis, qui rappellent la dualité tout en la fixant, d’où la notion de dialectique de notre intitulé.

Les passages secrets servent de moyen terme à cette dialectique; ils ont pour rôle de l’inscrire concrètement dans l’espace. Ainsi, Benoît Virole remarque que le récit a un « cadre . . . constant. Les lieux . . . sont standardisés » (38). Cette constance, bien sûr, va de pair avec la répétition.6 Le motif du passage secret est un élément connu des textes de fantasy.7 Nombreux dans Harry Potter, les passages secrets peuvent se trouver à l’intérieur de Poudlard, où ils dissimulent des pièces, comme le tunnel menant à la Chambre des secrets du deuxième tome de la série ou la porte de la Salle sur demande du cinquième tome, Harry Potter et l’ordre du Phénix. Mais ceux-là n’ont aucune valeur pour notre analyse, parce qu’ils ne sont pas accessibles à des Moldus.

Pour comprendre comment fonctionne la dialectique spatiale, nous avons plutôt choisi d’analyser le cas de la barrière menant au quai 9¾ à la gare de King’s Cross et celui du mur ouvrant sur le Chemin de traverse, à l’auberge du Chaudron baveur. Ces deux exemples répondent aux critères que nous venons d’énoncer. En effet, ils se trouvent tous deux à Londres, situés dans ou à proximité des lieux publics Moldus. À ce titre, ils démontrent la mitoyenneté des deux mondes. De plus, ils signalent le début effectif de plusieurs aventures. Leur récurrence leur confère le statut de repère cartographique. Enfin et surtout, ils fonctionnent ensemble: le passage par le Chaudron baveur, donc par le Chemin de...

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