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  • L'affaire Berger-Levrault : le féminisme à l'épreuve (1897-1905)
  • Sylvie Charlier
François Chaignaud.- L'affaire Berger-Levrault : le féminisme à l'épreuve (1897-1905). Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 267 pages. « Archives du féminisme ».

Partant du constat que l'affaire Berger-Levrault est la première rencontre entre un groupe, une association féministe et le mouvement syndical, la première interaction entre deux groupes constitués, François Chaignaud s'est imposé une double tâche. Il veut, à travers un récit chronologique, établir les faits au plus près afin de poser ensuite de nouvelles questions concernant à la fois l'événement lui-même et des perspectives plus larges. Ce travail est développé en deux étapes avec un temps consacré à la généalogie de la recherche que suit celui consacré à l'événement proprement dit.

Constatant le faible intérêt de l'historiographie du mouvement ouvrier pour l'antiféminisme et le silence des archives sur ce sujet, François Chaignaud part de l'affaire Berger-Levrault afin d'identifier, de décrire et de comprendre comment des organisations syndicales, engagées dans un projet global d'amélioration de la situation des travailleurs, purent être hostiles au mouvement féministe. Pour cela, il s'appuie sur des sources inédites et sur la relecture des archives féministes et syndicales. Dans un premier temps, sa recherche a relevé des travaux sur l'antiféminisme, problématique bientôt jugée trop limitée, car trop unilatérale, aux allures de procès. Il choisit donc un cadre de travail plus macro-analytique, moins destiné à comprendre les situations que les évolutions et sensible à la dynamisation induite par le choix du genre comme catégorie d'analyse historique. Son axe de fond est de faire l'histoire des femmes et des hommes, d'observer la dissémination des effets de pouvoir et les axes de domination, en étant attentif aux négociations.

L'affaire Berger-Levrault nécessite de remonter à la formation, en mars 1899, du Syndicat des femmes typographes (SFT) dans la mouvance de La Fronde, première et principale tribune utilisée par les femmes. Ce journal, création de Marguerite Durand, figure singulière et centrale, est entièrement dirigé, rédigé et composé par des femmes. Cette non-mixité offensive est un geste militant particulièrement fort. À la suite du refus du syndicat masculin des typographes de syndiquer des femmes et de celui des journalistes de La Libre Parole de reconnaître le professionnalisme de son équipe, Marguerite Durand a pris l'initiative de créer le SFT. D'emblée, le SFT se signale par son caractère de « syndicat maison » et son hostilité à la Fédération française des travailleurs du Livre (FFTL).

À Nancy, près de quatre-vingt dix ouvriers de l'imprimerie Berger-Levrault, vieille maison qui emploie le tiers des compositeurs de la région, se mettent en grève le 5 novembre 1901 pour des questions salariales. La direction prend alors la décision de recruter des femmes pour remplacer les grévistes et pour ce faire se tourne vers le SFT dont la secrétaire, Marie Muller, sert d'agent de recrutement. Depuis sa création, la FFTL montre une hostilité constante au travail des femmes. Les ouvriers du Livre, et tout particulièrement les typographes, refusent la mixité dans les ateliers au nom de la lutte contre la concurrence déloyale et le font savoir. Pour la Fédération, l'embauche nancéenne est vécue comme une provocation et un passage en force de la direction. Un accord est finalement signé le 8 janvier 1902 : les grévistes obtiennent le salaire réclamé et sont repris pour la plupart. Pour la première fois, cependant, ils doivent se résigner à la présence de femmes, concession perçue comme une défaite. François Chaignaud montre clairement l'absence de conviction féministe parmi les typotes recrutées. Et si, au cours du conflit, la dimension sexuelle [End Page 115] se superpose à celle, sociale, du début, les tensions nancéennes découlent...

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