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  • Charles Dupont-White, L'Anti-Tocqueville
  • Jean-Fabien Spitz (bio)

Dans De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville a fait la théorie de ce qu'est à ses yeux l'exception française dans l'histoire des régimes démocratiques : l'excès de l'Etat, le légicentrisme, la centralisation qui détruit les corps intermédiaires, étouffe la société civile, laisse l'individu seul et désarmé face à la toute puissance de l'Etat. Il voit dans cette configuration exceptionnelle une menace pour l'avenir de la liberté et, en tout état de cause, il en conclut que, en France, l'accès à l'âge de la politique moderne se fait dans des conditions telles que l'autoritarisme rampant affleure toujours sous les figures extérieures de la démocratie. L'explication tocquevillienne de cette singularité est simple : le refus trop longtemps maintenu de l'égalité civile par une aristocratie agrippée à ses privilèges a provoqué en France une haine inextinguible et irrémédiable de toutes les supériorités et une passion farouche de l'égalité. Or, la constitution d'associations artificielles et de corps volontaires formés par les individus est, dans une société où les castes naturelles fondées sur le sang et la naissance ont disparu, le seul rempart possible contre les avancées de la machine étatique, la seule manière de préserver la liberté de la société civile contre son oppression par la bureaucratie politique de l'âge moderne. Mais, en France, la haine des supériorités est telle qu'elle interdit la constitution de telles associations volontaires, qui ne peuvent prendre naissance sans que certains citoyens éminents n'en prennent la tête et ne se dégagent en quelque sorte de la masse. C'est pourquoi la France ignore les moyens de la liberté moderne - l'art de l'association - et préfère obstinément [End Page 231] l'égalité à la liberté. Sous l'ancien régime déjà, l'individu se tournait vers la monarchie pour lui demander la dissolution des castes privilégiées, et il aspirait à la toute puissance de l'Etat pour faire pièce aux féodalités privées qui, pour lui, constituaient le principal obstacle à sa liberté. Ainsi s'est nouée l'alliance historique de la monarchie et du tiers Etat contre les ordres privilégiés, l'alliance du trône et des communes contre le scandale de l'inégalité civile. Les régimes postérieurs à la révolution ont - à l'exception de la restauration - suivi les traces de cette alliance, renforçant sans cesse la machine de l'Etat pour imposer l'égalité civile et parer aux dangers des privilèges sans cesse renaissants : faire plier toutes les classes et tous les individus sous le joug égalitaire et sans exception de la loi, telle fut l'ambition de la France moderne depuis le XVIIe siècle. La liberté authentique, celle de l'individu, celle qui permet à chacun de s'affranchir de la tutelle omniprésente de l'Etat, est bien entendue la grande oubliée de cette passion égalitariste relayée par la puissance publique.

Pour Charles Dupont-White, cette conception tocquevillienne est à la fois nouvelle et fausse1. Elle est nouvelle, dit-il, parce que, jusqu'à présent, « tout le monde croyait que la royauté était autrefois la seule force qui n'existât pas purement pour elle-même, que le roi de France avait toujours pris parti pour le droit commun, pour la patrie, pour le progrès, contre les privilégiés de toute sorte ; qu'en abaissant la noblesse et l'Eglise, il avait amélioré le sort du peuple, éveillé les esprits, formé le Tiers-Etat, ébauché enfin ce que la révolution devait consommer un jour2. » Tous les opposants à la politique de nivellement et d'égalisation centralisatrice menée par la monarchie apparaissaient alors comme des traîtres, comme des rebelles, comme des factieux attachés à la défense de leurs privilèges et étrangers à toute idée du bien public et de l'intérêt gén...

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