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  • Un autre regard sur les espaces de l'engagement :mouvements et figures féminines dans le Moyent-Orient contemporain
  • Leyla Dakhli and Stéphanie Latte Abdallah*

Plusieurs interrogations sont à l'origine de ce numéro consacré aux engagements féminins au Moyen-Orient aujourd'hui1. D'abord, le constat d'un décalage entre une vision commune des femmes de la région comme cachées voire opprimées et l'émergence de figures féminines portant une vision différente, souvent considérées avec curiosité - parfois avec suspicion - en Europe. Ensuite, la manière dont le féminisme s'est récemment reformulé dans les années 1990 dans la région (démocratisation des mouvements issus des deux premières vagues - années 1920-1940, 1960-1980 -, émergence d'un féminisme islamique) et la multiplicité des groupes et des trajectoires féminines qui ont exploré d'autres formes d'engagement, d'autres voies en marge de préoccupations clairement féministes. Enfin, alors qu'une lecture « par le religieux » tend à s'imposer - pour les femmes encore plus peut-être que pour le reste de la société -, il nous a semblé important de s'interroger sur les liens entre l'engagement spirituel et l'engagement social et politique, pas seulement à l'intérieur des cadres imposés - État, partis à fondement religieux, séculier ou laïc - mais dans la constitution de formes de sociabilité militante originales.

Les espaces et les temps des engagements

La région considérée ici n'englobe pas l'ensemble du Moyen-Orient, elle n'est pas non plus circonscrite à ce que l'on appelle le Proche-Orient. Elle va d'Égypte en Syrie, longeant le littoral méditerranéen (Palestine, Israël, Liban) en passant au sud par le Yémen. Elle comprend surtout des pays de langue arabe, dont la population est majoritairement musulmane. Les femmes qui y vivent et précisément celles dont il s'agit ne forment pas un ensemble homogène : elles se différencient par leurs statuts sociaux, les droits et les devoirs définis par les États et les confessions, la situation politique de manière plus large (cas des femmes palestiniennes incarcérées). [End Page 3] Il semblerait de prime abord que ce qui sépare soit plus important que ce qui unit en ces territoires. C'est là probablement le premier enseignement de ces études, qui rompent avec les volontés d'englober, de mondialiser, de répartir par zones les questions contemporaines. On trouvera donc ici un répertoire ouvert d'actions, d'interventions et d'autorités féminines, situées dans le temps et l'espace.

Les engagements féminins contemporains sont héritiers de mouvements féministes, qui, au Moyen-Orient, ont suivi des itinéraires assez semblables aux mouvements européens à partir des années 1900, œuvrant pour la conquête de droits nouveaux - en particulier politiques - et pour l'émancipation. Avec la constitution des États modernes, essentiellement après la Seconde Guerre mondiale, ces mouvements ont connu une institutionnalisation nouvelle. Si le féminisme fut alors porté par des mouvements tout d'abord de gauche et en général dans l'opposition aux États post-coloniaux, ces derniers ont souvent tenté de les contrôler et de promouvoir de leur côté un féminisme d'État, leur permettant de faire valoir, notamment aux yeux du monde, l'image de pays modernes et ouverts. Ce féminisme d'État fut pour l'essentiel centré sur une élite éduquée et urbaine. Il trouvait la plupart du temps sa limite dans la question de la démocratisation demandée par les mouvements féminins indépendants dès les années 1950, et dans la volonté conjointe de ces nouveaux États de donner des droits réels aux femmes en prenant leur indépendance vis-à-vis de l'ordre communautaire et religieux. Ainsi, les lois sur le divorce achoppaient sur la question de la répudiation, de la polygamie ou de l'héritage dans de nombreux cas (chez les musulmans, comme chez les coptes ou les juifs orthodoxes…). La capacité militante des...

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