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Reviewed by:
  • Souffrances sociales. Philosophie, psychologie et politique
  • Axelle Brodiez
Emmanuel Renault .- Souffrances sociales. Philosophie, psychologie et politique. Paris, La Découverte, 2008, 406 pages. « Armillaire ».

Comme celui de « vulnérabilité », bien que sans doute dans une moindre mesure, le terme de « souffrance sociale » tend depuis une dizaine d'années à devenir un nouveau paradigme, dans l'arène médiatique et politique comme dans les sciences humaines et sociales. Il reste pour autant très discuté. Le parti pris de cet ouvrage, écrit par un philosophe, mais d'ouverture pluridisciplinaire, consiste à cerner et défendre le concept d'un point de vue théorique, en examinant des modèles et des penseurs dans des disciplines et sous-disciplines aussi diverses que la sociologie, la psychologie, l'économie politique, la psychiatrie, mais aussi la médecine sociale, l'anthropologie médicale ou la psychologie sociale clinique. In fine, l'objectif est aussi politique : « montrer qu'une référence politique à la souffrance peut contribuer à une relance de la critique sociale [et] sortir des pans entiers de la société de l'invisibilisation en rendant ainsi aux individus concernés la capacité de revendiquer et d'agir collectivement pour transformer les conditions de leur existence » (p. 6).

L'ouvrage se compose de six parties.

Dans un premier temps, l'auteur examine les « obstacles et problèmes » inhérents à l'analyse de la souffrance sociale, d'un point de vue tant disciplinaire (flou des contours, entre sociologie et psychologie) que politique (répugnance à user d'un vocabulaire psychologique pour analyser les sociétés, par crainte d'une mise en position de victimes, ou inversement d'entrave à l'action protestataire). Pour autant, l'auteur défend la nécessité de prendre à bras-le-corps le concept par les sciences sociales : « Lorsque les sciences sociales récusent la problématique de la souffrance sociale, elles prolongent dans leurs discours le silence de l'espace public politique sur l'expérience des dominés et des démunis, là où elles pourraient au contraire contribuer à élaborer un cadre discursif pour le partage de cette expérience. Il existe un effet de spirale entre invisibilité, caractère indicible et obstacle à la mobilisation » (p. 25-26). Les travaux de Pierre Bourdieu sur la « misère » occidentale ou de Veena Das sur les viols collectifs en Inde permettent ainsi, en exhibant et en analysant des causes de souffrances, de lutter contre leur invisibilisation. Proposant de croiser approche psychologique et sociologique, l'auteur plaide aussi pour une approche à la fois biographique et contextuelle, dynamique (trajectoires, approche séquentielle) et statique (description des structures psychiques et sociales).

La seconde partie, « un vocabulaire politique », est plus historique. Contre l'idée que le concept de souffrance sociale serait toujours « marqué par la victimisation et la moralisation, la psychologisation et la médicalisation » et que « son emploi politique serait toujours motivé par des entreprises de dépolitisation » (p. 95), Emmanuel Renault montre au contraire comment la notion appartient au vocabulaire politique de la modernité. L'auteur analyse en particulier deux exemples du XIXe siècle. L'Écho [End Page 155] de la fabrique, journal ouvrier lyonnais créé en 1831, témoigne que le vocabulaire de la souffrance a appartenu au langage politique du socialisme dès ses origines, pour légitimer les revendications, interpeller et inciter à des évolutions législatives. Marx et Engels ont eux aussi recouru au vocabulaire de la souffrance pour décrire les conditions de vie des ouvriers (soit non seulement les causes, mais aussi les effets de la pauvreté), et justifier la lutte. La « révolte des piquets » en Haïti en 1844, au cours de laquelle les paysans s'autodésignent « armée souffrante », montre parallèlement que la souffrance peut devenir une cause explicite de révolte. L'auteur s'attache aussi aux spécificités de la nouvelle souffrance sociale engendrée par le capitalisme au XIXe siècle.

Le troisième temps est consacré à « la controverse actuelle ». Depuis les années 1980, les références à la souffrance se sont en effet multipliées, dans le cadre des débats portés par les associations de malades, du développement des...

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