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  • Les Mille et une nuits, entre Orient et Occident
  • Manuel Couvreur (bio)
Jean-Paul Sermain. Les Mille et une nuits, entre Orient et Occident. Paris: Éditions Desjonquères, 2009. 202pp. 22€. ISBN 978-2-84321-115-7.

La parution en 2005 du livre de Jean-Paul Sermain sur Le Conte de fées du classicisme aux Lumières marquait un tournant dans la carrière de ce spécialiste du roman des xviie et xviiie siècles: il allait marquer aussi, par sa qualité, une étape décisive dans la recherche sur le genre du conte merveilleux. Tout en élaborant cet ouvrage incontournable, Sermain travaillait à une réédition, pour Garnier-Flammarion, de la traduction des Mille et une nuit par Antoine Galland. Le texte modernisé et très soigneusement établi par Jean Gaulmier en 1965 y est enrichi d'une importante présentation, de plusieurs notices et de divers documents qui en font l'édition de référence. Approfondissant diverses pistes qui y étaient à peine ébauchées, Sermain en tire la matière du présent essai. Celui-ci ne se veut pas une synthèse générale sur la « belle infidèle »: l'auteur, ne recourrant qu'aux seuls éléments historiques pouvant servir son propos, propose d'aborder l'œuvre sous quelques angles d'approche. Cette fois encore, l'ouvrage séduit et convainc. Son premier mérite est d'utiliser une bibliographie critique largement tournée vers la recherche anglo-saxonne et de s'ouvrir ainsi à plusieurs études essentielles. Parfaitement documenté, l'ouvrage vaut par l'originalité du regard d'un critique qui ne pense pas en rond.

Les Mille et une nuits pose un problème de fond à quiconque tente de s'en approcher: comment parler d'un ouvrage qui, en arabe, est un ouvrage anonyme, existant sous des formes extraordinairement diverses, et qui, lors de son passage en français, a acquis un statut d'œuvre littéraire et s'est retrouvé doté d'une forme devenue, même pour les lecteurs arabes, sinon canonique, du moins incontournable. Sermain transcende le dualisme aporétique qui oppose les textes arabes à l'œuvre de Galland: « Galland a créé dans la pensée et le conte oriental une œuvre française. Il a créé dans la pensée et le conte français une œuvre orientale » (19). Il nous montre Galland s'emparant d'une « matière », comme l'ont fait tous les compilateurs des Mille et une nuit, avant et [End Page 728] après lui (45). Conscient que l'on ne peut aborder cette traduction si l'on ne se réfère au manuscrit sur lequel elle est fondée, Sermain se reporte à la seule traduction existante du célèbre manuscrit et évite ainsi l'écueil sur lequel ont échoué la plupart des études consacrées à cet étrange objet littéraire. Dans le sillage de Sylvette Larzul, il fait apparaître les aménagements que Galland a opérés selon des modalités subtiles: il dessine la silhouette d'un Galland rêveur réinventant l'Orient (106).

Sermain se plaît à secouer les idées reçues. À ses yeux, rien ne vient étayer la thèse qui voudrait que l'emboîtement des récits dans Les Mille et une nuit, ne soit qu'une illustration du pouvoir performatif des contes. Il démontre que les récits n'ont pas la capacité de modifier la réalité: « L'intention rhétorique […] échoue toujours dans Les Mille et une nuits ou bien colle mal à l'histoire qui lui sert de truchement […] La perspective esthétique de Scheherazade qui compte seulement sur le plaisir de l'auditeur apparaît, à la lumière de ses contes, comme la seule valable » (47–48).

Ces prémices lui permettent de faire ressortir certaines audaces d'une œuvre qui, par son succès, a influé de façon déterminante sur la société et la littérature occidentales. Ainsi, du point de vue esthétique, le fait que la dimension hédoniste du conte obère sa portée morale, situe l'œuvre en discordance avec l'utile dulci horatien...

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