In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • J.M.G. Le Clézio et la métaphore exotique
  • Bruno Tritsmans
Bruno Thibault , J.M.G. Le Clézio et la métaphore exotique. Amsterdam: Rodopi, 2009. 244 pp.

Ce beau livre, qui est le fruit d'une longue et patiente écoute de Le Clézio, propose une lecture panoramique de l'oeuvre, du Procès-verbal (1963) à Ritournelle de la faim (2008). En une dizaine de chapitres, Bruno Thibault retrace le parcours, la "quête" de Le Clézio et cherche à marier l'ordre chronologique (respecté "grosso modo," 14) et les entrées thématiques, qui se regroupent autour de la "métaphore exotique." Il s'agit de l'écriture de l'espace et du voyage (en Orient) qui relève de ce que Foucault appelait "la fonction mythique [. . .] de la littérature" (13), et qui apparaît comme une contre-écriture de la pensée et de la politique occidentales (9).

L'ancrage méthodologique de Bruno Thibault se dessine avec netteté: il s'agit des "thèses psychanalytiques et anthropologiques de Carl Jung et Mircea Eliade, deux penseurs que Le Clézio connaît bien" (14). Ce métissage méthodologique permet de rapprocher la démarche leclézienne du chamanisme propre à la "pensée primitive," mais aussi de la lire comme "un voyage vers soi" (14), ponctué par les figures de l'anima, de l'ombre et du Soi (42, 83, 103). Cette lecture des structures archaïques de l'univers leclézien donne à ce livre une forte cohérence, une complétude: "la littérature est d'essence chamanique," et elle permet de "rétablir le contact avec les grands archétypes" (54).

En même temps, Bruno Thibault se montre très sensible à l'ouverture de Le Clézio sur la (post)modernité, et en particulier sur les manifestations du déracinement (les banlieues, l'immigration, . . .), qui se traduisent sur un plan plus théorique par la "nomadologie" de Deleuze et Guattari (178, 219), parmi d'autres penseurs de la dérive et de l'inorigine, mais aussi par le rattachement à la littérature post-coloniale et la "littérature-monde." Les lectures de La ronde et autres faits divers et Etoile errante s'inscrivent dans ce contexte.

Le parcours de Le Clézio semble une courbe descendante, déceptive: Le Clézio évolue vers une écriture de plus en plus désenchantée, [End Page 107] marquée par la perte de l'aventure (44) et une ouverture sur l'Histoire et l'autobiographie où le projet initial, qui consistait à vouloir ouvrir l'Occident sur la pensée primitive, semble s'asphyxier. Bruno Thibault étaye sa démonstration par une lecture fine des récritures d'un texte à l'autre: l'initiation de "Mondo" ou le prophétisme de "Hazaran"—le recueil Mondo et autres histories a valeur de matrice (p.186)—se retrouvent, sous une forme éculée, dans Ourania et Ritournelle de la faim (220, 225). En même temps, cette fragilisation du projet initial, souvent affirmée (44, 119, 134, 187, . . .), n'est pas sans susciter un certain malaise, notamment quand Josyane Savigneau s'en fait le porte-parole (187, 194), et il y a dans ce livre comme une nostalgie du "modèle mythique" de la littérature.

La richesse du livre, qui tient à la double lecture qu'il propose (tantôt orientée vers l'archaïsme, tantôt vers la modernité), relève ainsi par moments de la tension qui ne se résout pas tout à fait. De façon tout à fait ponctuelle, l'ancrage théorique majeur de ce livre (Eliade-Jung) aurait peut-être gagné à faire l'objet d'une présentation synthétique succincte, plutôt que de s'éparpiller quelque peu dans des notes qui ne se recouvrent parfois qu'incomplètement. Le Clézio cite certes Eliade et Jung dans un article du Magazine littéraire de 1979 (cité p. 59, 87), mais le rapport établi par Le Clézio entre ces deux auteurs qui retrouvent, nous dit-il, "la force du mythe" et proposent ainsi "une conception [. . .] révolutionnaire de la création littéraire," reste assez...

pdf

Share