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Reviewed by:
  • Le Cinéma de l'immobilité
  • Karl Pollin
Ludovic Cortade . Le Cinéma de l'immobilité. Paris: Publications de la Sorbonne, 2008. 311 pp.

La où la majorité des publications relatives au cinéma adoptent de nos jours la forme d'une monographie consacrée à un réalisateur ou à un genre, et reproduisent dans leur structure l'impassible déroulement d'une continuité chronologique, l'un des principaux mérites du livre de Ludovic Cortade tient indéniablement à son architecture, qui épouse le cheminement d'un questionnement théorique exigeant, au cours duquel aucun dogme n'est jamais tenu pour acquis. Ainsi, à rebours de l'idée communément admise qui consiste à voir dans le mouvement le trait distinctif du septième art, Cortade s'efforce de mettre en évidence une sensation d'immobilité propre au cinéma, tout en se demandant si cette sensation entérine la croyance du spectateur vis-à-vis des images, ou à l'inverse tend à interrompre sa participation affective à la fiction projetée sur l'écran. La force de la réfl exion proposée par l'auteur tient alors à son refus de trancher cette question a priori: pour prendre toute la mesure du problème de l'immobilité au cinéma, il importe en effet de tenir compte aussi bien des impressions visuelles et sonores reçues par le spectateur que de la position statique que celui-ci adopte généralement au cours d'une projection.

En revisitant certaines hypothèses avancées par Bazin, la première partie du livre de Cortade entreprend de montrer que la suspension du mouvement à l'intérieur d'un film ne freine pas nécessairement l'empathie par rapport à ce qui est perçu. En effet, à défaut d'être réalistes, les immobilisations cinématographiques paraissent bien souvent vraisemblables aux yeux du spectateur, et concourent de la sorte à affermir sa participation affective, par le biais d'une esthétique de la transparence qui vise à occulter les marques humaines dans l'image en mouvement. Dans ces conditions, qu'elle soit engendrée par le son ou par l'image, l'immobilité cinématographique résulte d'une intentionnalité artistique, porteuse d'effets de sens qui n'ont pas nécessairement pour vocation de désamorcer notre croyance en la fable narrative. Cortade, en s'appuyant sur une méticuleuse analyse sémiologique d'exemples tirés entre autres de l'œuvre de Fassbinder, de Wyler et de Hou Hsiao-hsien, distingue ainsi quatre formes d'immobilité au travers desquelles cette esthétique de la transparence se trouve réaffirmée. [End Page 144] Tandis que le figement permet l'expression d'un paroxysme émotionnel, le repos instaure une modalité de la durée ambiguë qui aiguise le désir du public pour le mouvement à venir. Les catégories de l'apatheïa et de l'inertie, qui soulignent respectivement le charisme d'un personnage doté d'un pouvoir transcendant et l'incapacité du réalisateur d'assigner un sens au mouvement, viennent compléter cette recension des différents types d'immobilité qui contribuent à stimuler la participation affective du spectateur.

S'il prend en considération les enseignements de la critique idéologique, Cortade n'entreprend pas moins, dans la seconde partie de son ouvrage, d'exhiber l'aporie fondamentale sur laquelle celle-ci se construit. Plusieurs théoriciens, à l'image de Metz ou de Baudry, ont ainsi dénoncé la position figée du spectateur face à l'écran comme origine de sa croyance en la fable cinématographique, et ont analysé cette passivité corporelle face au dispositif comme une incapacité structurelle pour le public d'aiguiser sa conscience politique. Déconsidérée sur le plan du dispositif, l'immobilité se trouve pourtant dotée paradoxalement de vertus révolutionnaires dans un certain nombre d'esthétiques filmiques d'inspiration brechtienne, qui voient en elle une possibilité de parade face à l'idéologie dominante: l'immobilité de l'image filmique instaurerait en effet une distanciation du spectateur par rapport à sa croyance apathique en la fiction, et permettrait de la sorte d'exhumer des contradictions inhérentes à la société. Cortade montre ainsi que, dans...

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