In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Le Récit de vengeance au XIXe siècle: Mérimée, Dumas, Balzac, Barbey d'Aurevilly
  • Claudie Bernard
Vassilev, Kris . Le Récit de vengeance au XIXe siècle: Mérimée, Dumas, Balzac, Barbey d'Aurevilly. Toulouse: Presses Universitaires du Mirail, 2008. Pp. 212. ISBN 978-2-8581-6932-0

Que la vengeance soit un thème littéraire particulièrement riche et productif dans la France du XIXe siècle, c'est ce que démontre avec rigueur, précision et élégance l'ouvrage de Kris Vassilev, préfacé par Claude Mouchard.

Dans un Prologue étendu où sont convoqués de nombreux textes théoriques (d'Aristote à Gérard Courtois en passant par Pascal et Hegel) et fictionnels (d'Homère et Rabelais à Zola et Jules Verne), Vassilev pose avec subtilité les enjeux anthropologiques et narratologiques de la vengeance. Il commence par opposer deux modèles de vengeurs: alors que le protagoniste de la tragédie classique va, court, vole et se venge sans délai, celui du roman du XIXe siècle préfère manger sa vengeance froide. C'est que le héros classique est pris à la fois dans une éthique nobiliaire et dans les impératifs de l'action tragique, qui lui dictent sa conduite à l'intérieur de la règle des vingt-quatre heures. Conscient de son historicité et libre de telles contraintes génériques, l'individu moderne, lui, prend son temps pour peaufiner une riposte qui lui permettra de développer son caractère, tout en faisant rebondir les péripéties de son roman, forme avec laquelle son entreprise présente une affinité particulière: "La mécanique de la vengeance semble résumer à elle seule le système d'unités (temps, transformation, quête, ignorance/ révélation, etc.) selon lequel le récit romanesque luimême se déploie" (24).

Le Prologue passe ensuite en revue différentes caractérisations et définitions de la vengeance au fil des siècles, en insistant sur les implications sociales de cette pratique. Il confronte vengeance et justice institutionnelle, en revenant au texte germinateur de l'Orestie (dans lequel la rétorsion d'Oreste aboutit à la fondation de l'Aréopage), et souligne les insuffisances de la loi impersonnelle face à la colère du vengeur, acharné à obtenir une "indemnité morale" qui garantisse sa valeur symbolique et son intégration communautaire.

"Contre la loi officielle et son application, le vengeur en vient à construire sa propre [End Page 289] conception du juste" (53). Si l'on peut regretter que cette synthèse riche et stimulante ne replace pas la notion de vengeance dans le cadre plus général de la justice, dont elle est une forme, et n'élucide pas davantage son rapport à cette autre forme de justice qu'est le système pénal, la seconde partie du Prologue, qui se penche sur le récit proprement dit, permet à l'auteur de déployer toute sa maîtrise et toute son originalité. "Le passage de l'état statique d'offensé à l'état dynamique de vengeur constitue l'étape la plus significative de la vengeance," écrit-il (43). Approfondissant ses remarques initiales sur la temporalité, il montre comment la vengeance élabore un programme (narratif) où patience et mémoire, sources de souffrance, se colorent de jouissance, et où le récit de l'offense par l'offensé joue un rôle cardinal. Le critique rappelle que la vengeance n'est jamais simplement un talion, l'administration d'une punition proportionnelle à l'offense: elle excède presque inévitablement la juste mesure, elle tombe dans l'excès; en outre, entre le serment liminaire de l'offensé décidé à se faire justice et la révélation finale où il se fait reconnaître comme acquitté, le vengeur est voué au déguisement et à la démultiplication de son identité. Quant au lecteur, le récit lui impose malgré lui une connivence avec ce personnage obsédé jusqu'à la cruauté, mais dont la personnalité exceptionnelle, aux prises avec une loi et une société oppressives, exercent sur lui une fascination d'autant plus grande qu...

pdf