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  • Chateaubriand: une poétique de la tentation
  • Jean Balcou
Chateaubriand: une poétique de la tentation. By Fabienne Bercegol. (Études romantiques et dix-neuviémistes, 1). Paris: Éditions Classiques Garnier, 2009. 704 pp. Pb €89.00.

Titre magnifique pour un auteur magnifique! Et la démonstration de Fabienne Bercegol sera à la hauteur une fois choisie la perspective et fixé le cadre. L’objet, en effet, est cet amour-passion soumis au vertige des attraits interdits si caractéristiques des fictions de Chateaubriand. C’est pourquoi la période retenue ici est celle qui est dominée par ces fictions et qui, à partir du Génie du christianisme qui redéfinit une poétique et Les Martyrs qui la consacrent, va d’Atala et René (le récit de René avec la saga des Natchez) aux Aventures du dernier Abencerage. Autre encadrement: se protéger, si possible, de la biographie ou de l’Histoire pour s’en tenir aux textes qui ont nourri la poétique de Chateaubriand en la matière et qui, pour l’essentiel, opposent dix-septième et dix-huitième siècles. Il s’agira de les repasser au fer d’un ‘génie du christianisme’ pour créer une poétique inspiratrice et rénovatrice. C’est que l’auteur y trouve de quoi alimenter son pessimisme congénital et s’y retrouve totalement pour sublimer ce pessimisme, quand il s’exprime sur l’interdit de l’amour-passion, en un théâtre de la tentation dont la poétique conduit à ce que Bercegol nomme fort justement une ‘expérience spirituelle du mal’ (quatrième de couverture). Or avec Chateaubriand on reste toujours au bord du précipice, où la tentation est surmontée car surmontable. Mais cela, comme le présente elle-même Bercegol, ‘au terme de combats intérieurs que dramatisent séduction du sacrilège et crainte de la damnation’ (ibid.). S’appuyant sur une ‘métaphysique de la passion’ (1e partie) où, dans des paysages érotisées, est dressée une ‘nouvelle table des passions’ (p. 46), Bercegol entraîne le lecteur fasciné des ‘tentations sauvages’ des Natchez (2e partie) aux ‘tentations incestueuses’ d’Atala et de René (3e partie) pour se sublimer dans les ‘ultimes tentations héroïques’ des Martyrs et des Aventures du dernier Abencerage (4e partie). Mais à trop vouloir reléguer biographie et histoire hors champ pour se consacrer précisément à ce parcours intellectualisé ne se prive-t-on pas de toute une part sauvage de sensations délirantes qui mettent les nerfs à fleur de peau, de tout ce qui a frappé cette génération-guillotine? Il est révélateur que Bercegol ait quasiment occulté dans son analyse l’Essai sur les révolutions, ce premier texte publié dont l’auteur dira ‘C’est du Rousseau, c’est du René’, cette ‘orgie noire d’un cœur blessé’ (Chateaubriand, Essai sur les révolutions; Génie du christianisme, éd. Maurice Regard (Paris: Gallimard, 1978), p. 269), ce René dont le fameux ‘mal du siècle’ renvoie à un mal du dix-huitième siècle. Pourquoi encore ce silence sur la symbolique montée de l’Etna dont, semble-t-il, se souviendra Bataille? Puisqu’enfin Bercegol ouvrait sur la postérité rappelons que pour son récit Anna, soror, où l’inceste est consommé, Marguerite Yourcenar invoquait René. Chez Chateaubriand, si la [End Page 211] tentation était finalement surmontée, n’est-ce pas parce que l’auteur se projetait dans un paradis perdu et que les jeux de la séduction l’emportaient sur tout?

Jean Balcou
Université de Bretagne Occidentale
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