In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • La marche des morts illustres. Benjamin Sulte, l'histoire et la commémoration
  • Fernande Roy
La marche des morts illustres. Benjamin Sulte, l'histoire et la commémoration. Patrice Groulx. Gatineau: Asticou, 2008. Pp. 286

Auteur prolifique, Benjamin Sulte a aussi été très actif dans les associations d'érudits et dans de multiples activités commémoratives, à la fin du xix esiècle et au début du xx e, époque qu'il désignait lui-même [End Page 136]comme « l'ère des statues ». Patrice Groulx fait le pari que létude de la pratique de cet historien éclairera les débats actuels sur la commémoration, le « devoir de mémoire » ou l'histoire nationale.

S'appuyant sur des maîtres comme Pierre Nora ou Paul Ricoeur, l'auteur présente, d'entrée de jeu, un cadre conceptuel qui définit et articule les termes histoire, mémoire, identité et commémoration. C'est bien fait et fort utile autant pour comprendre Sulte que Groulx. Si on peut distinguer l'histoire, comme activité critique et savante, de la mémoire, plus affective, on peut difficilement les opposer totalement, surtout si on accepte la responsabilité des historiens dans la fabrication de la mémoire collective. Pour sa part, Benjamin Sulte harmonise très aisément les deux, jusqu'à les confondre plus ou moins. C'est ce qui, pour moi, limite quelque peu la portée de cette étude pour approfondir la question actuelle des usages sociaux du passé. Un siècle s'est tout de même écoulé et le métier d'historien a énormément changé, ce que, bien sûr, Groulx reconnaît.

L'histoire des Canadiens-Français, publiée de 1882 à 1884, constitue sans doute l'œuvre maîtresse de Benjamin Sulte, sans être pour autant une œuvre de maître. L'auteur veut montrer qu'elle constitue la matrice savante de l'activité commémorative de Sulte. La genèse, la fabrication et le marché de l'ouvrage sont examinés minutieusement, ce qui plaira certainement aux historiens du livre. Malgré sa sympathie pour son objet d'étude, Patrice Groulx reconnaît les défauts de cet ouvrage bâclé : la chronologie est déséquilibrée (sept tomes sur huit portent sur la Nouvelle-France), le texte est décousu et farci de coquilles, plusieurs chapitres ne sont que des collages de citations d'historiens antérieurs (Charlevoix, Garneau, Ferland, etc.), les gravures sont insérées pêle-mêle, souvent sans rapport avec le texte. Sulte collectionne les documents et, en dépit de sa prétention à faire l'histoire du peuple canadien-français, l'ouvrage reste axé sur les hauts faits des élites.

À l'époque, l'accueil réservé à cet ouvrage fut assez polémique à cause de ses attaques plutôt vives contre les Jésuites : les ultramontains et Joseph-Charles Taché en tête ont grimpé aux barricades avec des arguments de nature idéologique, bien sûr, ce qui ne rendait pas l'ouvrage meilleur pour autant. Si Benjamin Sulte tentait de « s'arracher à sa réputation de journaliste rétrospectif », ce fut un échec. Il restera un « historien notateur », selon Aegidius Fauteux, voire un « cabotin », selon Guy Frégault. À mon sens, Patrice Groulx mousse un peu les qualités de son historien, qui a simplement éparpillé dans son œuvre des renseignements dûment vérifiés sur le [End Page 137]climat, la géographie ou encore sur les mœurs, coutumes et croyances des ancêtres.

Cependant, le principal intérêt du premier chapitre n'est pas là. Patrice Groulx décortique les ressorts de l'œuvre : Sulte veut répondre à une certaine intolérance, au dénigrement des Canadiens français par certains auteurs anglophones. Il revendique des droits égaux et, dans ce cadre, l'histoire et la mémoire collective doivent se mettre au service de la justice et déboucher inéluctablement sur la glorification des ancêtres et des élites nationales. Sans craindre les anachronismes, Sulte crédite ces ancêtres d'un « sentiment national » qui les relie directement à la fin du XIX...

pdf

Share