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  • Une théorie de la cohésion sociale
  • Michel Forsé (bio) and Maxime Parodi (bio)

La cohésion sociale semble être une notion trop vaste et trop pluridimensionnelle pour qu’il soit possible de s’en donner une définition précise. Elle désigne entre autres aussi bien des formes de participations citoyennes et sociales que des valeurs partagées, l’absence d’exclusion, la réduction des inégalités et de la ségrégation, voire des politiques sociales. Elle fait en outre l’objet de désaccords concernant les dimensions qu’elle devrait impérativement mettre en avant ou qu’elle ne devrait pas négliger ou au contraire qu’elle ferait mieux d’oublier. Paul Bernard (1999) en conclut qu’elle n’est qu’un « quasi-concept ». Elle serait si protéiforme et d’une géométrie tellement variable qu’elle ne pourrait échapper à l’inconsistance. Pour autant, sa position prend un tour plus positif lorsqu’il souligne qu’avec l’idée de cohésion sociale on s’efforce de faire tenir ensemble la liberté, l’égalité et la fraternité. Il considère de ce fait – au moins implicitement – que la cohésion sociale tient dans l’articulation de principes et de dimensions jugés essentiels pour faire société. En ramenant la notion à la devise républicaine française, il souligne d’ailleurs qu’elle n’est pas une idée nouvelle et que seuls les mots changent au gré des époques et des modes.

Et de fait, on peut admettre que la cohésion sociale rend compte à peu de chose près de ce que l’on appelait la solidarité ou l’intégration sociale à l’époque de Léon Bourgeois (1896) ou d’Emile Durkheim. Quel que soit le vocabulaire, il s’agit fondamentalement de penser ce qui nous rassemble et comment nous continuons de nous rassembler en dépit de ce qui nous sépare. [End Page 9]

Qu’il faille réinterroger ce processus à la lumière des changements sociaux que nous connaissons est une chose, qu’il soit impossible de s’en donner une théorie cohérente en est une autre. C’est précisément cet objectif d’une théorie renouvelée que nous nous proposons d’atteindre avec cette étude et pour y parvenir, il nous semble nécessaire de repartir de l’analyse durkheimienne de la solidarité.

1 – L’exigence De Justice Au Fondement De La Cohésion Sociale

Toute la thèse de Durkheim dans De la division du travail social (1893) porte sur les dimensions sociales qui viennent compléter la simple division du travail smithienne pour produire de la cohésion. Pour Durkheim, l’échange marchand ne peut seul le permettre et Adam Smith n’éclaire qu’une part superficielle de nos interactions lorsqu’il affirme que « ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts » (1776). Car, sans la conscience de leur complémentarité, ni le boucher, ni le marchand de bière, ni le boulanger n’auraient intérêt à se spécialiser. Smith passe en fait à côté de ce que Durkheim juge essentiel : la conscience d’un destin partagé et, donc, d’une solidarité.

Pour le mettre en évidence, Durkheim prête une attention particulière à la dimension juridique et plus largement normative de la société. Il ne se focalise plus uniquement sur les échanges marchands puisque leur simple addition ne permet pas de créer un ordre social. Pour construire un tel ordre il faut se coordonner, et dès lors l’interdépendance ne peut plus être considérée uniquement comme un effet agrégé des actions d’individus séparés. Elle doit aussi être vue comme un sujet de réflexion et d’élaboration par ces mêmes individus, anticipant en commun leurs interactions, et réglant alors leurs actes en posant des normes. En somme, Durkheim relie ce que Smith séparait, à savoir la division du travail et la solidarité.

Son analyse des...

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