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Reviewed by:
  • La justice au risque des profanes
  • Joël Ficet
Hélène Michel et Laurent Willemez (sous la direction de). – La justice au risque des profanes. Paris, PUF, 2007, 204 pages.

L’ouvrage collectif dirigé par Hélène Michel et Laurent Willemez se veut une réflexion sur les frontières sociales de la Justice, c’est-à-dire, dans une perspective constructiviste, « aussi bien sur leur constitution, leur appropriation et leur légitimation que sur leurs contestations et les tentatives de dépassement dont elles font l’objet ». Autour de ce thème ont été assemblées neuf contributions relatives pour la plupart à diverses instances ou groupes opérant aux limites de la sphère judiciaire, dans une « zone grise » où se mêlent parfois non sans difficultés le « profane » et le « professionnel » : prud’hommes, tribunaux de commerce, justice de proximité, médiation… Ces monographies renvoient à des interrogations classiques en sociologie des professions, science politique et sociologie du droit : les dynamiques de la professionnalisation, les conditions de légitimité de la fonction de justice, la différenciation sociale de l’univers judiciaire, l’autoréférence des opérations juridiques avec, en arrière-plan, la perspective du processus de rationalisation formelle du droit diagnostiqué par Max Weber. Deux de ces textes s’éloignent toutefois de cette thématique, l’un étant consacré au militantisme des avocats dans les années 1970, l’autre à la mobilisation du droit par les salariés dans le cadre des controverses relatives aux 35 heures.

Quasiment toutes les études de cas prennent donc pour objet les dilemmes de non-spécialistes devenus acteurs du processus judiciaire et sommés de se positionner par rapport aux techniciens qui les environnent. Le constat qui revient le plus souvent sous la plume des divers auteurs est celui qu’Hélène Michel formule en ces termes au sujet des conseillers prud’hommes : « Dès lors qu’ils sont confrontés à des professionnels de la justice, magistrats ou avocats, les conseillers prud’hommes [End Page 120] tentent de donner des gages de “professionnalisme” ». Alors même que leur présence est justifiée précisément par leur extériorité à l’institution judiciaire, ils semblent condamnés, sauf à être marginalisés dans l’élaboration des verdicts ou à voir leurs décisions systématiquement annulées en appel, à intégrer les codes (aux deux sens du terme) qui régissent leur environnement. Les juges de proximité eux-mêmes, note Antoine Pélicand, ont accepté la normalisation de leur activité pour exister vis-à-vis d’une magistrature professionnelle hostile. La contribution de Claire Lemercier sur les tribunaux de commerce et du travail au xixe siècle, qui ne connaissaient pas encore une telle pression, permet d’illustrer par contraste la technicisation croissante du travail des juges non-professionnels. L’évolution est d’autant plus forte que, soulignent également plusieurs études, ces juges censément profanes sont souvent issus des professions juridiques. C’est ainsi que, comme le montrent Emmanuel Lazega et Lise Mounier, les juges du tribunal de commerce de Paris se recrutent largement dans la catégorie des « banquiers juristes », c’est-à-dire parmi les professionnels de la finance dotés d’une formation juridique. Il résulte de ces tendances une ambiguïté quant au sens et à la légitimité de la participation de ces magistrats non-professionnels au travail juridictionnel. Dans leur introduction, Hélène Michel et Laurent Willemez énumèrent quatre « figures » du juge profane : le juge notable (à l’instar du juge de paix avant 1958, du juge de proximité aujourd’hui) ; le juge spécialiste, tel le juge consulaire, dont l’intervention est légitimée par une connaissance interne de son monde social d’origine ; le naïf, exerçant sa fonction en vertu d’un sens commun de l’équité non corrompu par le formalisme du droit ; enfin, le représentant d’un groupe social, comme aux prud’hommes. C’est de la capacité de leurs membres à incarner l’une ou plusieurs de ces figures que les différentes juridictions énumérées plus haut tirent leur légitimité ; mais cette dernière n’est-elle...

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