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Reviewed by:
  • Le lynchage aux États-Unis
  • Paul Schor
Joël Michel. – Le lynchage aux États-Unis. Paris, La Table ronde, 2008, 348 pages.

L’ouvrage, qui traite, de façon plus restrictive que ne l’indique le titre, du lynchage des Noirs par des Blancs dans le Sud des États-Unis de la fin de l’esclavage aux années 1960, n’a pas l’ambition d’être un ouvrage de recherche mais de présenter en français les résultats des travaux américains récents sur la question, par un auteur qui n’est pas spécialiste, mais entend rendre compte des nombreux travaux américains sur la question. Il remplit parfaitement cet objectif, rendant compte avec nuance des différentes interprétations, sans se risquer à proposer une synthèse nouvelle, ce qui serait d’ailleurs difficile.

En effet, la lecture de cet ouvrage court, mais qui aborde la question sous de nombreux aspects, permet de mesurer la diversité et la complexité d’un phénomène qui s’est manifesté différemment selon les périodes et les régions. Suivant l’usage des associations noires, Joël Michel retient comme définition du lynchage un meurtre commis par au moins trois personnes au nom de la justice. Ce choix élimine les nombreux meurtres collectifs de Noirs que l’auteur range dans la catégorie de pogroms [End Page 126] ainsi que des lynchages, bien moins nombreux, où la dimension raciale n’apparaît pas centrale, mais cela représente néanmoins le total effrayant jusqu’en 1952 de 4 789 lynchages officiellement recensés. On y trouvera des informations sur le profil des victimes – noires, masculines et jeunes pour la plupart –, mais aussi des bourreaux. L’évocation détaillée de nombreux cas qui redonne un nom à des victimes qui ne seraient sinon que des statistiques s’inscrit aussi dans le prolongement d’un projet mémoriel qui s’est développé ces dernières années aux États-Unis. L’auteur ne s’est pas limité aux travaux historiques. Il a aussi emprunté des analyses aux anthropologues, psychologues, sociologues et économistes. Il montre notamment comment certains cas relèvent de la justice populaire expéditive que l’on trouve aussi dans l’Ouest, mais que la torture et la mutilation en public sont les aspects qui donnent au lynchage dans le Sud des États-Unis, de la Reconstruction aux années 1960, son caractère spécifique. Un des apports les plus intéressants est la corrélation entre crises économiques, tensions sur un marché du travail local et hausse des lynchages, qui permet de dépasser l’explication culturaliste. Il montre que le lynchage est certes le moyen d’imposer par la terreur un ordre racial après l’abolition de l’esclavage mais qu’il ne survient pas n’importe où ni n’importe quand. Cette géographie du phénomène se révèle plus complexe que ce que l’on pense généralement, de même que sa chronologie n’est pas linéaire. Ainsi les lynchages des années 1890 apparaissent liés à l’expansion du coton, qui bouleverse les économies locales. Ils ont tendance à survenir là où les petits Blancs ont du mal à rester propriétaires. À l’échelle du comté ou de la microrégion, l’analyse est très éclairante. A contrario, l’ouvrage est moins convaincant lorsqu’il a tendance à tirer des conclusions trop générales sur la culture du Sud ou sur le lien entre la religion baptiste et « une culture de la cruauté ».

Certaines questions restent en suspens, comme la culture de la violence dans le Midwest où le phénomène se répand dans les années 1920, et le lynchage est au final mieux expliqué que la société qui l’a produit, mais cet ouvrage contient de nombreuses informations et analyses puisées aux meilleures sources et constitue en français une contribution utile.

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