In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Devenir juge. Mode de recrutement et crise des vocations de 1830 à nos jours
  • Joël Ficet
Catherine Fillon, Marc Boninchi, Arnaud Lecompte. – Devenir juge. Mode de recrutement et crise des vocations de 1830 à nos jours. Paris, PUF, 2007, 267 pages. « Droit et justice ».

Le livre de Catherine Fillon, Marc Boninchi et Arnaud Lecompte est en premier lieu une étude à caractère historique de l’invention d’un système consensuel de recrutement de la magistrature en France. Il ne repose toutefois pas uniquement sur une exégèse de textes législatifs et réglementaires. Son originalité principale est, comme l’indique son sous-titre, de traiter conjointement des débats politiques et corporatifs relatifs au recrutement des juges et de l’insuffisance quasi-permanente de vocations depuis le début du xixe siècle ; la professionnalisation graduelle du corps judiciaire, dont les manifestations les plus visibles sont la création d’un concours et celle d’une école spécialisée en 1958, est en effet dans une large mesure destinée à rendre plus attractive la fonction de magistrat. Les auteurs ont pour ce faire assemblé, aux côtés de nombreuses sources écrites, plus de soixante entretiens avec des juges entrés dans l’institution depuis une quarantaine d’années. Toutefois l’exploitation faite de ces matériaux pose parfois problème et, surtout, ne permet pas toujours de faire le lien entre les deux volets de l’analyse.

Les deux premiers chapitres sont les plus classiques. Ils reprennent chronologiquement les étapes menant au système actuel, en soulignant le poids de deux facteurs : la réticence du politique à l’émancipation du corps judiciaire et la nécessité de réhabiliter l’image de l’institution pour attirer des postulants. Une revue des débats leur permet de montrer que, si le corps se rallie progressivement à l’idée du concours au cours du xixe siècle (après avoir privilégié des procédures préservant une forme de cooptation, telle que la « présentation » de candidats aux ministres par les cours), les élites politiques tant monarchistes que républicaines ont sauf exception constamment œuvré au maintien du plus large arbitraire dans le recrutement et l’avancement des magistrats ; la vieille revendication radicale de l’élection des juges, « héritage » de la révolution, est d’ailleurs abandonnée en 1883, ne résistant pas à l’épreuve de l’exercice du pouvoir par les républicains. Les diverses mesures adoptées ou mises au vote jusqu’à la transition de 1958 sur ces sujets laissent donc au ministre une marge de manœuvre lui permettant d’écarter ou de marginaliser les juges suspects d’opinions dissidentes. Les tentatives les plus notables de rigidifier les règles de carrière de la magistrature sont par ailleurs rapidement amendées, tel l’ambitieux décret Sarrien d’août 1906 qui, instaurant un concours et un tableau d’avancement, est presque aussitôt abrogé par le décret Briand de février 1908 instituant un examen professionnel. C’est finalement la crise du recrutement qui est le levier de la réforme. Une brève étude statistique dans le deuxième chapitre permet aux auteurs de chiffrer cette crise, établissant que les variations du nombre de candidats sont liées aux aléas économiques. Délaissée en période de plein emploi (Années Folles, Vichy, Trente Glorieuses), refuge en temps de crise (années 1930), la magistrature apparaît comme un choix par défaut pour les étudiants des facultés de droit. Elle semble de ce fait, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, condamnée à s’étioler et à se féminiser – au grand dam des hiérarques du corps. L’objectivation des règles de carrière devient aux yeux de réformateurs, tels que Michel Debré, une des conditions de la réhabilitation du métier judiciaire et de la résolution de la crise démographique du corps. La réforme de 1958 introduit donc une rupture radicale en alignant les modalités de recrutement de la magistrature sur celles d’une haute fonction publique [End Page 118] alors...

pdf

Share