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  • La justice face à ses réformateurs (1980–2006). Entreprises de modernisation et logiques de résistance
  • Joël Ficet
Antoine Vauchez et Laurent Willemez. – La justice face à ses réformateurs (1980–2006). Entreprises de modernisation et logiques de résistance. Paris, PUF, 2007, 267 pages. « Droit et justice ».

L’ouvrage d’Antoine Vauchez et Laurent Willemez est issu d’un rapport de recherche consacré aux réformes ayant affecté depuis un quart de siècle trois juridictions aux propriétés singulières : les tribunaux de commerce, les cours d’assises et les prud’hommes. Toutefois, comme l’indique le sous-titre du livre, il ne s’agit pas d’un bilan législatif mais d’une étude des processus réformateurs à l’œuvre, de leurs protagonistes et de leur inspiration. La thèse principale des auteurs est que ces processus ont été impulsés par un même champ d’acteurs, animés par un « sens commun réformateur » (référence est faite ici aux travaux de Christian Topalov1) que résume [End Page 122] le slogan de la « modernisation » de la Justice omniprésent depuis le début des années 1980.

La première partie du livre est consacrée aux acteurs institutionnels de la réforme, répartis en catégories : hauts fonctionnaires de la Chancellerie, professeurs de droit et parlementaires. Les auteurs s’attachent à démontrer que l’essor de la rhétorique modernisatrice correspond à une recomposition des rapports de force dans chacun de ces groupes, aboutissant à la marginalisation d’individus et de collectifs ayant au cours des années 1970 contribué à structurer le débat judiciaire selon un clivage droite-gauche au profit d’acteurs plus sensibles aux thématiques de « bonne gestion » ou de « bonnes pratiques » judiciaires. Ils s’attaquent par exemple à l’image d’un ministère Badinter politisé et infiltré par les « juges rouges » du Syndicat de la magistrature ; par une étude fine de la trajectoire des collaborateurs de Robert Badinter, ils montrent en effet que celui-ci s’est entouré avant tout de techniciens ou de magistrats issus de syndicats modérés soucieux avant tout d’efficacité et de qualité du service public de la Justice. Ils montrent de même que, à l’Assemblée et au Sénat, les élus issus des professions juridiques tendent aujourd’hui à monopoliser la parole sur la Justice, donnant au débat un caractère technique que ne connaissaient pas les grands affrontements parlementaires relatifs à la loi Sécurité et Liberté (1979–1980) ou, plus lointainement, à la Cour de sûreté de l’État (1963). Enfin, les milieux juridiques eux-mêmes tendraient à investir dans une rationalisation de la procédure pénale en fonction des normes du « procès équitable » au sens de la Cour européenne des droits de l’homme.

La mobilisation de ces acteurs souvent multipositionnés s’accompagnerait de l’émergence de ce sens commun réformateur (les auteurs emploient également alternativement les expressions de « socle cognitif », de « langage commun » ou encore d’« horizon réformateur commun ») articulé autour d’un diagnostic de crise, d’un impératif de changement et de normes de professionnalisation, de rationalisation et de managérialisation. Les questions de Justice ne seraient donc plus abordées selon un prisme « idéologique » mais uniquement dans le cadre d’une recherche d’efficacité (généralement évaluée par le temps de traitement des dossiers) et de qualité.

Ce portrait d’un mouvement de technicisation des débats sur la Justice est prolongé dans la seconde partie par trois monographies dans lesquelles les auteurs analysent la « dé-singularisation » de juridictions dont le caractère exceptionnel avait été préservé jusqu’ici par la mobilisation constante de « mondes sociaux »2 composés de groupes intéressés au maintien de leur spécificité : juges consulaires, avocats pénaux, syndicats, etc. L’accent est mis sur les processus par lesquels certains de ces groupes se rallient à une rhétorique réformatrice et finissent par accepter une normalisation de leur juridiction de référence. Convaincante en ce qui concerne les cours d’assises, qui voient leurs particularismes réduits au nom des exigences...

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