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  • "Trois livres simultanés"de Dominique Fourcade pour une exceptionnelle triangulation poétique
  • Dominique Rincé

En juin 2005, dans le contexte d'une poésie contemporaine soumise pourtant depuis longtemps à la "portion congrue" éditoriale, Dominique Fourcade prend, avec son éditeur POL, le risque d'une triple et synchrone publication de recueils titrés: en laisse, sans lasso et sans flash et éponges modèle 2003. Trois recueils en trois formats (18x12, 18, 5 x 14 et 20, 5 x 15,5) qui pourraient faire songer à un emboîtement de type "gigogne" ou "poupées russes" mais qu'unifient seulement les choix typographiques de la page titre et la répétition à l'identique de la quatrième de couverture. Un "triptyque" en somme, dont on discutera plus loin de l'appellation, qui semble en tout cas sans équivalent dans notre poésie contemporaine de langue française.

La genèse nous en est contée,1 de manière fragmentaire mais instructive, dans les "creux" de chacun des trois livres et dans les "pleins" d'un long entretien que l'auteur a accordé à Frédéric Valabrègue dans le Cahier Critique de Poésie, paru chez Farrago au premier semestre 2006.2 Entretien dans lequel, m'assurait-il lui-même dans une lettre de juin 2006,3 il "disait des choses essentielles et surtout auxquelles il tenait beaucoup." Que nous apprennent ces diverses confidences sur l'écriture des trois livres? Leur(s) origine(s) d'abord, différentes mais unies, nous le verrons, par un même double procès d'intertextualité littéraire et de contextualité esthétique; origines que j'aborderai successivement en commençant par celle d'éponges modèle 2003, peutêtre parce qu'il est à un format englobant celui des deux autres, parce qu'il rassemble des textes de plus courte mémoire mais aussi, comme on le verra pour finir, parce qu'il constitue une sorte d'épicentre poétique au centre de notre ensemble. [End Page 85]

Ayant accepté de co-diriger une exposition, pour le Solomon Guggenheim Museum de New York, sur l'œuvre du sculpteur américain David Smith (1906–1965), œuvre qu'il avait découverte avec admiration en 1971, Fourcade s'est résolu, nous dit-il, à interrompre l'écriture d'un livre commencé auquel il avait déjà donné le titre de éponges modèle 2003. Après dix-huit mois de travail, il doit pourtant, la mort dans l'âme, renoncer à collaborer à l'exposition prévue dans le cadre du bicentenaire de la naissance de l'artiste. Alors, explique-t-il,

je me suis retrouvé sans rien, parce que l'écriture ne se laisse pas rejoindre comme ça. Impossible, bien sûr, de reprendre éponges modèle 2003 où je l'avais laissé, le livre ne m'avait pas attendu pour mourir (. . .) J'étais littéralement sans projet et sans capacité. Et puis à un moment, (. . .) s'est imposée, en quelques secondes, l'idée de rassembler tout ce que je pouvais des différents registres et domaines d'application (ou modes d'exposition) de mon écriture récente (. . .) à aucun moment ça n'a été un projet . . . je me suis trouvé d'un seul coup dedans, en train de faire simultanément ces trois livres (. . .) et cette simultanéité était la seule transcription possible et la seule fidèle de ma situation dans ce moment-là d'écriture.4

À ce moment de notre généalogie du triptyque, trois éléments méritent d'ores et déjà d'être soulignés. On relèvera d'abord, dans le cas d'éponges modèle 2003, l'assez faible coefficient d'intertextualité: il s'agit simplement en somme d'un manuscrit probablement commencé en 2003 (d'où le titre . . .) et repris à l'issue de la mésaventure muséale. On notera en revanche le lien originel fort entre la conception de l'œuvre poétique et ce travail muséal avorté sur Smith5 que Fourcade résumait encore lui-même de cette formule: "Faire une expo (de David Smith) est pour moi une autre façon de faire un poème." Nous verrons que...

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