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  • Naissance de la bonne conscience coloniale. Les libéraux français et britanniques et la question impériale (1770–1870)
  • David Todd
Jennifer Pitts.– Naissance de la bonne conscience coloniale. Les libéraux français et britanniques et la question impériale (1770–1870). Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2008, 383 pages. Préface de Gilles Manceron. « Histoire ».

Ce beau livre, desservi par une traduction médiocre, ouvre un chantier original et important en histoire des idées et en histoire coloniale. Jusqu’au début du xixe siècle, la pensée politique libérale était sinon hostile, du moins sceptique à l’égard des projets d’expansion coloniale. Un tournant se produisit au lendemain des guerres napoléoniennes : les intellectuels libéraux britanniques et français se rallièrent à la colonisation comme moyen de répandre les lumières civilisatrices de l’Europe et de stabiliser les régimes représentatifs métropolitains en voie de transition démocratique. Tournant capital de la conciliation du libéralisme avec l’impérialisme, dont Jennifer Pitts analyse les ressorts intellectuels et psychologiques à travers quelques grandes figures de la pensée libérale franco-britannique.

Pitts décortique d’abord la critique du colonialisme chez trois philosophes emblématiques du libéralisme britannique à la fin du xviiie siècle : l’économiste Adam Smith, le conservateur Edmund Burke et l’utilitariste Jeremy Bentham. S’appuyant sur l’histoire conjecturale caractéristique des Lumières écossaises, Smith élabora une théorie du développement des sociétés humaines qui reconnaissait la validité des pratiques culturelles différentes de celles en vigueur en Europe. Surtout, il mettait en valeur le caractère accidentel de la montée en puissance des nations européennes. Selon le fondateur de l’économie politique moderne, l’exploitation des colonies par le système mercantile n’était pas seulement contre-productive, puisqu’elle détournait les capitaux de leur emploi naturel : elle était aussi immorale et destinée à disparaître dès que les sociétés extra-européennes auraient rattrapé leurs devancières.

L’« anticolonialisme » de Burke, mieux connu pour sa condamnation de l’universalisme abstrait de la Révolution française, est plus surprenant. L’auteur des Réflexions sur la Révolution en France (1790) fut pourtant l’un des critiques les plus virulents du chauvinisme culturel et des pratiques despotiques des administrateurs britanniques outre-mer. Irlandais anglican, mais d’origine catholique, sa bonne connaissance des méfaits de la politique d’exclusion menée par la minorité protestante dans son île natale l’aida à compatir avec les autres peuples soumis à la domination britannique. Cet « universalisme singulier » encouragea Burke à faire mettre en accusation Warren Hastings, gouverneur de l’Inde britannique de 1773 à 1784, pour ses méthodes expéditives et ses exactions systématiques. La Chambre des Lords acquitta Hastings, mais au terme d’un procès de sept ans, au cours duquel Burke appela ses compatriotes à renoncer à l’esprit de domination et d’oppression dans leurs colonies. Plusieurs historiens ont désigné l’utilitarisme de Bentham comme l’une des principales sources d’inspiration des législateurs coloniaux britanniques au xixe siècle. Mais Pitts nous rappelle que Bentham lui-même était réticent, voire hostile à la colonisation. [End Page 143] Comme Smith et Burke, il finit par reconnaître le bien-fondé de l’indépendance des États-Unis. Il appela la France et l’Espagne à émanciper leurs propres colonies. Sensible aux problèmes pratiques de gouvernance posés par la distance géographique et culturelle, il ne saurait être décrit comme le précurseur du despotisme « progressiste » du colonialisme britannique après 1815.

Ce sont les héritiers de Bentham, à commencer par James Mill et son fils John Stuart Mill, tous deux employés de la Compagnie des Indes orientales, qui ont fait prendre un tournant impérial au libéralisme britannique. Dans sa monumentale History of British India, parue à partir de 1817, Mill père s’appuya sur une stricte dichotomie entre peuples civilisés et barbares pour rejeter la capacité des Indiens à se gouverner eux-mêmes. Reprenant les id...

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