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  • Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique
  • David Todd
François Denord. – Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique. Paris, Demopolis, 2007, 416 pages.

Le « néo-libéralisme » économique, soutient François Denord, n’est ni une réactualisation du libéralisme du xixe siècle, ni un courant d’idées importé en France depuis le monde anglo-saxon : il s’agit d’une nouvelle idéologie, inventée en partie par des intellectuels hexagonaux en réponse à la remise en cause du modèle libéral dans les années 1930. Marginalisé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le néo-libéralisme a progressivement conquis les élites économiques et administratives, jusqu’à devenir l’idéologie dominante des classes dirigeantes françaises à la fin du xxe siècle.

Le libéralisme « manchestérien » – en référence au mouvement libre-échangiste britannique du xixe siècle, dont Manchester était le principal bastion – réclamait l’abolition intégrale de toute forme d’intervention économique par les pouvoirs publics. Cet idéal qui dominait l’Europe d’avant 1914 est battu en brèche par la Première Guerre mondiale et la grande dépression des années 1930. De nouveaux modèles de politique économique dirigistes séduisent une fraction croissante des élites intellectuelles et politiques : le planisme – en plus du socialisme marxiste – à gauche et le corporatisme chrétien à droite. C’est en réponse à ces nouveaux défis qu’émerge un courant de pensée néo-libéral. Les néo-libéraux réaffirment la supériorité de l’économie de marché, mais renoncent au « laissez faire, laissez passer » du xixe siècle. Leur particularité est d’accorder à l’État un rôle primordial dans l’établissement et le maintien des mécanismes assurant le bon fonctionnement du marché. Sans diriger l’activité économique, l’État doit la réguler, par le droit et en imposant aux acteurs les règles du jeu libéral.

Alors que l’ancien libéralisme avait pour principale assise sociale le petit commerce et la petite entreprise textile ou métallurgique, le néo-libéralisme séduit les grands patrons et les ingénieurs de la seconde industrialisation (chimie, électricité, automobile), ainsi qu’une nouvelle génération de technocrates formés à Polytechnique ou à l’École libre des sciences politiques. Porté par des groupes de réflexions et des revues comme Redressement français, X-Crise ou Les Nouveaux cahiers, le néo-libéralisme trouve un promoteur très actif en la personne de Louis Rougier, philosophe adepte du positivisme logique, qui se rapprochera de la Nouvelle droite d’Alain de Benoist à la fin des années 1960. En août 1938, Rougier organise à Paris le Colloque Walter Lippmann pour débattre des thèses néo-libérales avancées par ce dernier, un intellectuel américain modéré, dans The Good Society (La cité libre) en 1937. Ce colloque réunit, outre Lippmann, environ 25 participants dont plusieurs étoiles montantes de la pensée libérale européenne : Friedrich Hayek, Raymond Aron, Jacques Rueff ou encore les futurs architectes de l’« Économie sociale de marché » allemande, Wilhelm Röpke et Alexander Rüstow.

Le Colloque Lippman cristallise les efforts de l’entre-deux-guerres pour la création d’une doctrine néo-libérale et débouche sur une mobilisation politique, à travers la création d’un Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme (CIRL) et les publications des Éditions Médicis, une maison fondée en 1937 qui combattra l’interventionnisme étatique d’inspiration marxiste ou dirigiste jusque dans les années 1970. La défaite de 1940 terrasse ce premier essor du néo-libéralisme. Pendant l’Occupation, les néolibéraux français se dispersent entre résistants, collaborateurs et attentistes. Les politiques économiques adoptées au lendemain de la Libération (nationalisations, planification) équivalent pour eux à une seconde débâcle, qui les relègue aux marges du monde intellectuel et politique.

À partir de l...

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