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Reviewed by:
  • Le Colloque Lippmann. Aux origines du néo-libéralisme
  • Patrick Fridenson
Serge Audier. –Le Colloque Lippmann. Aux origines du néo-libéralisme. Latresne, Éditions Le Bord de l’Eau, 2008, 355 pages.

Notre revue avait publié en 2001 un article de François Denord qui avait contribué à un renouvellement profond de la lecture du Colloque Lippmann de 19385. J’ai donc ouvert ce livre avec curiosité. J’y ai trouvé la réimpression des actes du colloque, ce qui pourrait être en soi une bonne chose. En effet, les discussions provoquées par la tenue à Paris en août 1938 de cette importante réunion internationale d’universitaires, de patrons et de hauts fonctionnaires marquent le point de départ d’une vaste opération de rénovation de la pensée libérale. Or elles étaient difficiles d’accès. Mais l’ambition de Serge Audier ne se limite pas à l’exhumation d’un texte canonique. Avec 236 pages d’introduction et 109 consacrées aux actes du Colloque, l’économie générale du volume le signale. Il s’agit rien moins que d’écrire une histoire intellectuelle du néo-libéralisme. Autant le dire d’emblée : le texte introductif « La face cachée du néo-libéralisme », sur lequel porte le présent compte rendu, n’est pas à la hauteur des aspirations d’un auteur remarqué pour ses nombreuses publications récentes dans le domaine de l’histoire de la philosophie politique. En s’en tenant à une histoire des idées très traditionnelle (préfoucaldienne et préskinnerienne, si j’ose dire), Serge Audier reste prisonnier d’une vision anhistorique du phénomène qu’il étudie. En assénant au lecteur un argumentaire principalement politique, parfois mal informé, il ne me paraît pas respecter les règles du métier d’historien, fût-il historien de la philosophie. Dommage lorsqu’on affirme qu’en matière d’histoire du libéralisme « les engagements ne font pas toujours bon ménage avec la logique de la recherche scientifique » (p. 18).

Une collection de fiches de lecture ne suffit pas à faire un livre. Et pourtant c’est ainsi que procède Serge Audier. Les premières pages sont à charge (p. 7–32) : l’auteur [End Page 138] dénonce les « récits mythologiques » du néo-libéralisme qu’il résume à grands traits, parfois de manière caricaturale. Les pages suivantes (p. 33–44) esquissent un portrait du paysage intellectuel des années 1930 dont l’architecture est empruntée tant à un ouvrage classique d’historien (Richard F. Kuisel) qu’à des publications de contemporains, qui sont donc des sources imprimées (Célestin Bouglé et Gaëtan Pirou, par exemple). Commence ensuite une succession de fiches. Les œuvres de Louis Rougier s’enchaînent, puis celles de Walter Lippmann, et après une quinzaine de pages consacrées au colloque éponyme, celles de Gaëtan Pirou, Daniel Villey, Louis Marlio, des ordo-libéraux allemands et bien d’autres. Quand arrive enfin le tour de Friedrich Hayek, le lecteur sait à quoi s’en tenir : si schématiquement on identifie deux tendances, le néo-libéralisme d’un Lippmann ou d’un Aron d’un côté et la tradition libérale d’un Hayek de l’autre, Serge Audier a fait son choix en faveur de la première.

Cette manière d’écrire l’histoire des idées pose évidemment problème. Elle découpe le néo-libéralisme en tranches correspondant à des individus et prête à chacun d’eux un corpus d’idées en apparence cohérent. Elle aboutit ainsi à des typologies atemporelles construites sur la base du résumé des travaux des différents protagonistes. À quoi bon étudier les groupes et les institutions, à quoi bon considérer la dynamique historique, le récit des origines s’auto-suffit. Le néo-libéralisme se transforme en une infinité de postures singulières. La concurrence idéologique ne joue aucun rôle moteur. La reconstruction a posteriori se voit autorisée par une supposée constance des attitudes intellectuelles. Ces erreurs...

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