- Du coron au HLM. Patronat et logement social (1894–1953)
L’ouvrage Du coron au HLM écrit par Hélène Frouard, chercheuse au Centre d’histoire sociale de l’Université Paris I, s’intéresse au rôle joué par le patronat dans la construction du logement social pendant la première moitié du xxe siècle. Il vise de façon plus précise à montrer comment les patrons ont réagi à l’intervention de plus en plus marquée de l’État français dans le domaine du logement populaire. Si d’un côté l’action patronale se fait importante et se déploie de multiples façons (participation aux sociétés d’Habitation à bon marché – HBM – mais également construction directe, rachat à des tiers ou encore soutien à l’accession à la propriété), de l’autre l’intervention étatique ne cesse de gagner en importance à partir de la mise en place [End Page 130] du logement social en 1894 pour parvenir au compromis de 1953 entre privé et public, date à laquelle la loi sur le 1 % patronal a été votée. L’histoire du logement ouvrier proposée par l’auteur, qui va des premières cités patronales du xixe siècle aux HLM des années 1950, se lit d’autant mieux que sont mises en évidence les tensions entre les logiques libérales du patronat et les logiques d’action sociale de l’État.
Le premier chapitre revient sur les conditions dans lesquelles le patronat commence à s’intéresser au logement de son personnel (ouvriers non qualifiés, personnel d’encadrement) en raison de l’augmentation du nombre de salariés et de la précarité des conditions de vie des ouvriers. C’est en effet au milieu de xixe siècle que l’on observe les premières initiatives d’un patronat de plus en plus soucieux d’attacher son personnel à l’usine et de l’amener à fonder une famille, avec, en toile de fond, l’influence du milieu réformateur et des premiers hygiénistes. Très vite, des expériences ayant comme cadre l’habitat collectif voient le jour, ainsi la Cité Napoléon rue Rochechouart à Paris et le Familistère de Godin à Guise. Mais tout aussi rapidement, un autre modèle d’habitat fondé sur la maison individuelle s’impose au cours de la seconde moitié du xixe siècle, et ce avec d’autant plus de force que les expositions universelles et les revues d’architecture se font le relais de ces expériences. Ces premières réalisations s’opèrent en dehors de tout programme urbanistique global et reproduisent les clivages sociaux dans leur morphologie même en proposant une hiérarchisation des constructions. En outre, les règles d’occupation des logements restent extérieures au droit commun régissant l’engagement entre un locataire et un propriétaire. Considéré comme un accessoire du contrat de travail, le logement patronal n’est pas une location stricto sensu, mais un avantage en nature. Constatant les carences juridiques et l’offre insuffisante de l’action patronale, l’État se voit contraint de prolonger et de soutenir les initiatives privées dans le domaine du logement en proposant des comités locaux HBM (loi Siegfried de 1894). Mais la complémentarité entre l’État et le patronat ne va pas de soi dans la mesure où le premier souhaite encourager l’accession à la propriété quand le second s’y oppose, craignant l’indépendance des ouvriers devenus propriétaires et peu enthousiaste devant une homologation HBM jugée contraignante. Hélène Frouard montre qu’il existe une sorte d’incompréhension entre un patronat désireux de mettre en avant son action philanthropique à travers le logement ouvrier, et un État soucieux de ne pas laisser trop d’autonomie aux industriels dans un domaine aussi important pour le devenir de la nation.
Le second chapitre revient sur la...