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Exorcisme et altérisation chez Michaux, ou d'un devenir-témoin de guerre: Épreuves, exorcismes, 1940-1944 Mathilde Vallespir L'exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier, est le véritable poème du prisonnier. Dans le lieu même de la souffrance et de l'idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies au martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque—état merveilleux!^ C'EST DANS SA PRÉFACE à Épreuves, exorcismes, 1940-1944 que Michaux confère à l'écriture un tel pouvoir exorcisant, pouvoir de «chasser les puissances environnantes du monde hostile» (9). L'anaphore qui scande la préface, «Une des choses à faire: l'exorcisme», tout en disant la nécessité de se soustraire à l'adversité du dehors, inaugure la constitution du texte, par son caractère incantatoire, en ce «martèlement des mots» qui représente pour l'auteur une des voies possibles de l'exorcisme . Cet exorcisme, s'il se situe apparemment en deçà du témoignage par le rapport qu'il institue au lecteur et à la postérité, évincés au profit d'un recentrement sur le narrateur, et au-delà du témoignage par la fonction qui lui est assignée, celle de se départir de l'instance oppressive qu'est la guerre, constitue defacto une écriture testimoniale: de l'Histoire il porte le sceau, informé par un présent d'où il tire son origine et qui est sa raison d'être. C'est à cette emprise de l'Histoire sur le texte queje m'intéresserai ici en formulant une double proposition: d'une part, l'exorcisme décrit par Michaux s'inscrit dans un «devenir-exorcisme» qui le subsume, et emporte dans un même mouvement narrateur et lecteur de l'œuvre; d'autre part et consécutivement , cet exorcisme constitue un «devenir-témoin» de guerre—ces deux devenirs se nouant autour de la notion d'«altérisation» du lecteur. Car la lecture d'Épreuves, exorcisme implique un travail cognitif qui porte atteinte aux catégories du récepteur de l'œuvre, les déstabilise et les modifie, et par là , l'ouvre à une altérité qui, en contrevenant à la puissance coercitive de l'Histoire , confère à ce récepteur le rôle de témoin. Après avoir défini l'exorcisme produit sur le récepteur d'Épreuves, exorcismes , en envisageant l'altération cognitive résultant de la lecture des poèmes de Michaux, il s'agira de décrire les modalités du remodelage du sujet-récepteur opéré par cette lecture exorcisante, sujet «altérisé» par l'altéraVol . XLV, No. 3 29 L'Esprit Créateur tion cognitive subie, pour enfin réinscrire cette «altérisation» dans l'Histoire et la définir comme contre-violence à Auschwitz; par la structure du sujetr écepteur qu'elle détermine, l'écriture de guerre de Michaux constitue le lecteur en témoin, conformément à la définition qu'en donne Agamben2. Altération et différance3 cognitive Un des premiers sentiments qu'éprouve le lecteur au contact des œuvres de guerre de Michaux, et tout particulièrement d'Épreuves, exorcismes, 19401944 , est sans nul doute une tension oppressive, mêlée à la surprise de ne trouver dans ces textes aucune référence directe à ce «monde hostile» qui en a motivé l'écriture. Certes, l'on peut reconnaître le visage à peine voilé de la guerre dans la peinture, au sein de ces textes, de sombres univers—«pays du manteau et de l'ombre»4, lieux concentrationnaires dans le Portrait des Meidosems5, dénués de normes éthiques ou à l'éthique paradoxale dans Au pays de la magie6—et voir dans cette représentation indirecte la source de ce sentiment d'oppression. Un tel renvoi est d'ailleurs largement programmé par le titre daté d'Épreuves, exorcismes, 1940-1944 et, dans les autres cas, peut être dicté par les connaissances d'un lecteur informé de l'inscription historique des œuvres. Mais la marque de l'Histoire sur l'œuvre de guerre de Michaux semble plus...

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