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Pierre nue, pierre ornée, pierre écrite d'Yves Bonnefoy: le creuset d'une utopie Isabelle Chol DES TOMBEAUX DE RAVENNE À DELPHES, en passant par la cathédrale de Valladolid ou quelques chapelles oubliées, Yves Bonnefoy n'a eu de cesse d'observer l'œuvre d'art, inscrite dans la pierre1. Tombale, ornée, gravée, écrite ou se donnant dans sa nudité élémentaire , elle varie en ses fonctions et valeurs, mais demeure dans l'œuvre du poète sous sa forme nominale la plus simple, celle du monosyllabe formant bloc. Au singulier dans les titres comme «Pierre écrite» ou «Sur de grands cercles de pierre», elle est d'abord une matière. Mais les textes poétiques d'Yves Bonnefoy, plus historien de l'art que minéralogiste ou géologue, simple spectateur du réel plus que découvreur de pierres précieuses, s'orientent moins vers une physique de la minéralité, qu'ils construisent une sémiotique de la pierre, retrouvant une alliance entre le signe et le sensible. La pierre est aussi bien le parangon de cet autre lieu de la poésie, surface devenant espace d'avant la séparation, présence immédiate, évidente qui nous invite à interroger «le sens mystérieux de ce qui n'est que simple» (PE 233). La pierre, un absolu du langage Si le mot «pierre» apparaît dans certains titres de recueils ou essais d'Yves Bonnefoy, il est récurrent dans l'ensemble de son œuvre2. Jérôme Thélot recense les substantifs les plus employés dans Du Mouvement et de l'immobilit é de Douve, Hier régnant désert, Pierre écrite et Dans le leurre du seuil3. La fréquence du mot «pierre» y apparaît très importante; il occupe en effet la quatrième position des substantifs les plus employés dans les quatre livres. Inscrit dans cette préférence accordée au mot simple, il relève du général, désignant une matière mais aussi une chose, hyperonyme très rarement remplac é par les hyponymes, «silex» (MID 59) ou «marbre» (MID 94), «rochers» (MID 67), ou «roc» (PE 199), «rocaille» (PE 237). Les adjectifs dérivés du nom 'roche' sont aussi relativement rares: «paysage rocheux» (MID 100), associé à la «blessure» et sa «combe où mourir», ou «cette main qui retient une autre main rocheuse» (PE 241). Il en est de même pour les dérivés de pierre, l'adjectif 'pierreuse' et le substantif 'pierraille': «ta tête pierreuse» (AP 40), «leur cœur de pierraille et de froid» (HRD 157), «c'est en pierraille qu'est 62 Summer 2005 Isabelle Chol le port» (HRD 161). Ce relevé montre à quel point la pierre, matière non animée, est liée à l'animé humain, évoqué, de façon métonymique, par la main, la tête ou le cœur, et tend à suggérer moins un objet particulier qu'une chose plus essentielle, dont l'unité ne saurait s'accommoder d'une écriture descriptive détaillée. La caractérisation de la pierre est, dans sa forme et son contenu, peu variée. Les caractérisants, peu nombreux, se répartissent en deux principaux champs: les adjectifs objectifs, essentiellement de couleur, et les adjectifs subjectifs évaluatifs. La pierre est surtout «grise», dans Hier régnant désert et Sur de grands cercles de pierre*. Dans Pierre écrite, elle devient «bleue» (PE 191), «noire» (PE 215). De même, elle est «simple» (HRD 171), «nue» (HRD 140, LS 291), ou «aveugle» (MID 82), ce dernier adjectif construisant encore le lien entre le non animé par excellence, la pierre froide, et l'animé, que suppose l'emploi littéral de «aveugle». Ce lien se réoriente, à partir de Pierre écrite, autour de connotations plus positives, celles de la «pierre chaude et heureuse» (PE 225). La caractérisation de la pierre est ainsi peu développée, attestant d'une écriture gommant toute velléité descriptive, cherchant simplement à nommer, à partir d'un vocabulaire raréfié, fait de noms, et de quelques adjectifs. L'emploi fréquent du substantif 'pierre' au singulier souligne cette plénitude...

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