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Miroir de l'absent Anne Gourio V AL'IMAGE DE MI FOU, dont la légende dit qu'à tant voyager dans la «pierre d'Immortalité» il disparut en elle, l'auteur de Pierres, L'Écriture des pierres et de Pierres réfléchies bâtit, au fil d'une écriture aspirée par la passion des minéraux, le long chemin solitaire d'un testament anonyme. Les trois livres de Caillois intégralement consacrés aux pierres débouchent de fait sur une disparition de l'instance auctoriale, qui s'accorde parfaitement avec la réticence affichée pour la confession poétique, tout en parachevant un itinéraire personnel. Portée par les pierres , l'œuvre de Caillois l'est depuis l'origine. Le Fleuve Alphée décline de fait quelques empreintes existentielles—la «craie champenoise», les «cristaux» que la mère utilisait pour la lessive, les ruines de la Grande Guerre—non sans rappeler que la découverte des ressources minérales s'offrit comme un «antidote» contre la prolifération «nuisible» d'idées dont l'auteur aurait été malgré lui complice dans les années 301. Après avoir lu les «premiers mémoires de Lamarck», Caillois aurait découvert dans les pierres le relais inespéré: J'en vins à rencontrer dans les pierres la récompense souhaitée. Elles se révélèrent peu à peu l'album gigantesque. Situées à l'extrême de la taciturnité, elles étaient placées du même coup aux antipodes de l'Homme et de la pensée. Je les devinais contenir dans leur masse impassible et perdurable la totalité des transformations possibles de la matière, sans rien en exclure, ni même la sensibilité, l'intelligence, l'imagination. (Le Fleuve 86) «Aux antipodes de l'Homme et de la pensée»: les pierres placent tout le parcours de Caillois dans une étrange atemporalité, et son auteur sous le masque d'une volontaire impersonnalité. Et pourtant, les trois livres minéraux reflètent l'ensemble des investigations passées, prolongent—davantage qu'ils ne la contestent—la 'parenthèse' sociologique reniée dans les dernières années. La multiplicité des chemins—de la sociologie à l'anthropologie, des méditations esthétiques au procès de la poésie, des écrits sur le fantastique à ceux sur le rêve, des études sur les incongruités du vivant à la réflexion sur le sacré— débouche sur l'unicité d'une voie qui les condense tous. Anthropologie, esthétique, autobiographie: Γ impersonnalité dont nous entendons faire notre propos se manifeste dans des domaines fort divers. Mettant en garde contre toute approche anthropocentriste du monde, les pierres donnent accès à une beauté inhumaine et sauvage. Par là , elles esquivent, Vol. XLV, No. 2 19 L'Esprit Créateur mieux encore elles abolissent toutes les marques de la personne, pour refléter cet absent que le poète devient à lui-même. Humain trop humain Minéraux et rochers constituent l'imprescriptible théâtre où un ultime acteur effectue trois petits tours avant de quitter la scène2. S'inscrivant dans la tradition des poètes-moralistes, Caillois réactive le topos baroque du theatrum mundi dans le silence glacé des minéraux. La perspective s'en trouve fondamentalement affectée: quand le statut dérisoire des acteurs devait, par contraste, souligner la toute puissance du metteur en scène, quand la contingence humaine ne prenait tout son sens qu'au regard de la grandeur divine, le théâtre figé de Caillois ne laisse quant à lui paraître aucun maître d'œuvre. La contingence du fait humain, rappelée en leitmotiv dans l'ensemble des textes sur les minéraux, ne relève plus du discours eschatologique de la tradition chrétienne, mais de la "mystique athée" de celui qui évolue dans le royaume du seul hasard. Sous le masque désenchanté du moraliste , Caillois propose au lecteur des «vanités» d'un genre nouveau, faisant surgir du silence des pierres quelques têtes de mort qui rappellent l'écrivain «à la modestie »3. Nous suivrons les injonctions du moraliste à travers deux textes qui se font écho: le chapitre...

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