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Entre la sentence et l'exécution, ou l'indispensable accusé de réception dans La Chute Jason Herbeck Il existe un fait d'évidence qui semble tout à fait moral, c'est qu'un homme est toujours la proie de ses vérités. Albert Camus Un faux pas, une syllabe achoppée révèlent la pensée d'un homme. Louis Aragon J'aime marcher à travers la ville, le soir, dans la chaleur du genièvre. Je marche des nuits durant, je rêve, ou je me parle interminablement. Comme ce soir, oui, et je crains de vous étourdir un peu, merci, vous êtes courtois. Mais c'est le trop-plein; dès que j'ouvre la bouche, les phrases coulent1. AISOLER LA CITATION CI-DESSUS, extrait de La Chute, de son contexte romanesque, l'on se croirait devant quelqu'un de loquace, de bien causant, un errant, sans doute, qui dans le pire des cas s'avérerait être soûl et collant. Rencontré au hasard, ce pourrait être facilement un individu dont on essaie de se débarrasser le plus vite possible. Et si on tarde à s'enfuir dès l'abord, ce ne serait qu'en raison de la sympathie ressentie pour un être certes inoffensif et seul, et à qui la décence veut qu'on prête, ne seraitce que de courte durée, une oreille obligeante. Replacée dans le contexte de La Chute d'Albert Camus, cette citation nous renvoie à première vue une image à maints égards fidèle à celle que l'on aura hypothéquée. Notre locuteur, Jean-Baptiste Clamence, se qualifiant lui-même de bavard, est un habitué des bars à matelots et tient volontiers un verre de genièvre à la main. Qui plus est, en tant que avocat à la retraite installé au bar Mexico-City, Clamence inspire de la confiance. Étant donné qu'il «[se] confie à vous, sans précautions, sur votre seule mine» (I, 1480), on est enclin à en faire autant, surtout quand on découvre que ses propos mènent au repentir. Or, abordée dans un troisième (et ultime) contexte, la confession en apparence diffuse de Clamence recèle un discours à la fois habile et trompeur, lequel lui permet de couper au jugement tout en déclarant s'y soumettre. L'enonciation à première vue expiatoire finit par renvoyer sur son interlocuteur un examen de conscience inattendu. Caractère double, fausse modestie, philanthropie hypocrite, ce sont donc autant de défauts annoncés par ce locuteur dont la narration séduit jusqu'au moment où, réflexion faite, c'est l'interlocuVol . XLIV, No. 4 85 L'Esprit Créateur teur—témoin (non) prévenu—qui est traduit en jugement au nom de ces mêmes qualités culpabilisantes. Soulignons pourtant que ce n'est pas devant Clamence ni un tribunal que cet interlocuteur est sommé de comparaître. Pris à témoin de ses propres péchés, le voilà transformé de simple témoin en accusé de mauvaise conscience, victime d'une confession à vrai dire réquisitoriale. Si les critiques s'étant prononcés sur la conception énigmatique de La Chute ne cessent de s'accroître2, aussi nombreux sont ceux qui continuent à considérer des aspects surtout herméneutiques du récit3. L'apport de ces enquêtes étant alors tant biographique que littéraire, tant esthétique que linguistique , l'étude critique se prononce toutefois unanime sur la qualité moralisante de l'énoncé4. Dans la conclusion de son livre sur La Chute, Brian T. Fitch évoque à cet égard le parallèle frappant entre ce récit et les ouvrages des moralistes français: «La Rochefoucauld's Maxims cannot fail to come to mind and even La Bruyère's Caractères are not that far removed from Clamence's thumbnail sketches of his contemporaries and their lifestyles»5. Fitch insiste même sur l'importance du rôle des maximes dans La Chute: «maxims can serve as a very convenient common ground between people who, in other respects, may possess very diverse particular opinions» (Fitch 122, 81). Nonobstant, le «trop-plein» du protagoniste et ce que quelques-uns ont...

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