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Panait Istrati, ou la conquête de la langue Alain Schaffner PANAIT ISTRATI EST NÉ EN 1884, à Brada en Roumanie (Valachie Danubienne). Il est le fils naturel d'une Roumaine, qui exerce la profession de blanchisseuse, et d'un contrebandier de tabac d'origine grecque. Son père meurt lorsqu'il est à peine âgé de 9 mois. À l'âge de 13 ans, en 1897, il doit quitter l'école et exerce divers métiers: garçon d'épicerie, de cabaret, pâtissier, apprenti mécanicien aux docks de Braïla. Vers 1900, il rencontre un aristocrate russe vagabond, Mikhaïl Kazanski, dont il fera son compagnon de voyages pendant 9 années autour de la Méditerranée1. Durant cette période, outre son implication progressive dans le mouvement socialiste, il est concierge de nuit, peintre en bâtiment, domestique, homme-sandwich, etc. En 1910, il est nommé secrétaire du Syndicat ouvrier du port de Braïla. Il organise une grande grève des dockers, collabore à la presse socialiste roumaine. Ce n'est qu'en 1913 qu'Istrati se rend pour la première fois à Paris, et qu'en 1916 (il a donc 32 ans) à Leysin, en Suisse, où il soigne sa tuberculose, qu'il consacre trois mois à apprendre le français dont il n'avait jusqu'alors aucune notion. Il le fait, curieuse idée, à partir du Télémaque de Fénelon et d'un dictionnaire , en épinglant des fiches de vocabulaire qui finissent par couvrir entièrement les murs de sa chambre. En 1919, dans un sanatorium près de Lausanne, José Jehouda, un journaliste suisse, lui fait découvrir l'œuvre de Romain Rolland2. Panait Istrati, enthousiasmé, envoie alors une lettre au célèbre écrivain pour lui demander aide et conseils, mais elle lui est renvoyée avec la mention «parti sans laisser d'adresse». De retour en France, il fait une tentative de suicide à Nice début 1921: on communique alors sa lettre à Romain Rolland qui lui répond aussitôt et l'encourage à se lancer dans la carri ère d'écrivain francophone. L'œuvre se déploie alors entre 1924 et 1935—date de la mort d'Istrati, qui finit par succomber à sa tuberculose. Elle est écrite directement en français3. Panait Istrati y combine l'ambition du roman fleuve et les deux tentations qui l'animent: celle de la transposition fictive de sa vie et celle de l'autobiographie pure et simple. Le romancier se crée un double appelé Adrien Zograffi (du grec Zographos qui signifie peintre4, mais où le Français entend aussi la racine «graphein» de l'autobiographe et du polygraphe). Il divise son cycle de dix romans en trois parties, telles qu'on les trouve dans les trois premiers volumes de la réédition Gallimard, publiés en 1968 et 1969: Les Récits d'Adrien Zograffi, La Jeunesse d'Adrien Zograffi, La Vie d'Adrien Zograffi. On y suit Vol. XLIV, No. 2 51 L'Esprit Créateur le personnage principal de l'âge de 18 ans à celui de 29 ans (qui coïncide avec son départ pour Paris) à travers nombre d'expériences qui, de moins en moins transposées, sont celles de la vie de Panait Istrati. Je m'intéresserai ici plus particulièrement au premier ensemble, Les Récits d'Adrien Zograffi, qui comprend quatre volumes publiés entre 1924 et 1926, soit «Kyra Kyralina», «Oncle Anghel», «Présentation des Haïdoucs» et «Domnitza de Snagov»5. Le personnage d'Adrien y occupe une place relativement restreinte dans la mesure où il se contente d'entendre un certain nombre de récits dont les héros sont les Haïdoucs, sortes de bandits d'honneur roumains qui luttent contre l'oppression des Turcs et des Grecs dans les années 1850. Je voudrais examiner le rapport particulier du texte à la langue, tel qu'il ressort à la fois des déclarations d'Istrati et des problèmes que pose dans ses textes la diversité linguistique. Puis, je tâcherai de montrer comment la langue s'y fait style à la faveur du lyrisme et de ce que Roger Dadoun appelle une «écriture paroxystique...

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