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L'Intimité du dehors ("erotiques" textuelles) Elisabeth Arnould-Bloomfield "Je le savais déjà que l'intimité des choses est la mort."1 G. Bataille, L'Impossible DANS UN LIVRE RÉCENT intitulé La Pensée dérobée, Jean-Luc Nancy rassemble ses réflexions sur quelques penseurs modernes autour du thème de la "nudité." La pensée d'aujourd'hui, dit-il, celle de Bataille par exemple, est toute entière l'épreuve d'une mise à nu. Elle se dérobe ou se dévêtit de soi et s'offre ainsi, erotique et provocante, à la nudité du sens.2 Mais que veut dire précisément ce penser nu, à nu? Qu'est-ce que cette pensée qui, selon ce mot de Bataille, "pense comme une fille enlève sa robe"? Et pourquoi faut-il du reste qu'une certaine pensée récente—littéraire comme philosophique—se reconnaisse ainsi dans ce langage de la nudité, dans les figures à la fois intimes et déchirées de son erotique? Car cette nudité fournit à la littérature des deux derniers siècles ses métaphores les plus communes . On sait que la modernité aime, avec passion et parfois même avec violence , à dénuder ses corps et ses textes. Elle en montre l'intimité parfois la plus insupportable, obscène. Et de Baudelaire à Proust et Bataille, on ne compte plus les œuvres où cet Éros déshabillé—dépouillé parfois de son corps même—s'offre comme la figure privilégiée du penser et de l'écrit. Une telle "erotique" littéraire et philosophique, bien entendu, n'est pas entièrement nouvelle.3 Elle informe, on le sait, toute la tradition. Mais elle prend, dans la modernité, une allure inédite. L'accent mis, depuis Sade, sur un corps sexué et martyrisé, l'insistance parallèle sur le dépouillement du texte, témoigne d'une valeur désormais tiansgressive de la nudité. Celle-ci est à présent cruelle: elle ne révèle plus, elle dérobe. Elle ne séduit plus, elle transgresse . Il suffit au reste de feuilleter les récits de Bataille pour y lire, à nu, la violence d'un érotisme où les corps sont tour à tour offerts à la jouissance, mutilés, sacrifiés. Or cette violence ne témoigne pas, chez son auteur, d'un simple goût du baroque. Elle donne à voir dans ses déchirements la dereliction moderne du savoir. Le dépouillement des chairs—leur transgression— manifeste ce qu'il advient du savoir dans un monde désormais "ath éologique." Elle montre ce qu'il en est de ce "corps gnoséologique" lorsque celui-ci, privé d'âme—de cette transcendance qui l'assurait en principe, s'éprouve comme mortel, fini. Car un tel "corps" de savoir, le nôtre, n'a plus désormais intériorité ni cohérence. Dépouillé de toute certitude, livré à cette Vol. XLIV, No. 1 51 L'Esprit Créateur finitude qui le borde de toute part, il fait l'expérience douloureuse de sa désagrégation. Si la modernité se reconnaît ainsi dans cette nudité violente de l'érotisme, c'est qu'elle y réfléchit la problématisation de son savoir. Celui-ci y lit la perte de son intériorité gnoséologique, celle de ses principes et partant de sa cohérence organique. Autrement dit, ce que notre savoir lit dans cette rupture de l'intimité que figure la transgression des corps, c'est la perte de sa propre intériorité: cette denudation gnoséologique qui l'oblige à s'exposer sans cesse à l'impudeur des corps et des textes. Et c'est bien cela là pensée nue. C'est ce savoir "erotique" c'est-à -dire sans intimité ou sans noyau: savoir fini et qui, n'ayant plus aucun principe, découvre son intimité au dehors de soi, dans le mouvement de corps—de textes—qui, infiniment, le dérobent en se dénudant. La pensée nue—qu'elle se réfléchisse ou non dans cette erotique qui en est un symptôme, une figure—est l'expérience de l'intimit...

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