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Préface De l'essence à la topique: mais où est donc notre sujet? Jean-Pierre Dubost L'ÉTUDE DE LA LITTÉRATURE LIBERTINE ne cesse de progresser . Il y a belle lurette qu'il n'est plus nécessaire d'en légitimer la nécessité scientifique ou a fortiori morale. Mais, comme toujours, il y a un prix à payer pour le progrès de l'analyse. En effet, plus la recherche enrichit et affine l'analyse, plus les images qu'elle dessine perdent en naïveté et en simplicité. À tel point qu'il devient décidément difficile de dire si «la litt érature libertine» existe1. Le soupçon atteint la totalité de la formule. On ne peut plus dire «la» littérature libertine, car l'on est de plus en plus conscient qu'il s'agit d'une multiplicité textuelle dont la périodisation et les paradigmes ne peuvent qu'être sans cesse soumis de nouveau à l'activité critique. On ne peut pas non plus parler naïvement de «littérature» libertine, dans la mesure où l'on sait bien que la part du discours et celle de la fiction sont indissociablement imbriquées l'une dans l'autre, et que si la fiction libertine anticipe déjà par maints aspects la grande coupure romantique et le désir d'une fiction purement autonome, elle participe aussi entièrement de la nature rhétorique, stratégique et rusée de l'écriture comme jeu de masque social qui est bien un trait essentiel de l'époque des Lumières et qui lui confère cet aspect polémique et subversif si caractéristique. Démêler l'un et l'autre n'est pas chose facile et sur ce point l'étude des textes libertins n'a pas fini de ré-évaluer ses objets et ses méthodes. Enfin et surtout, il est redoutable de définir ce qu'il en est du qualificatif lui-même. Qu'est-ce au fond que «le libertinage», qu'est-ce qu'un(e) libertin(e)? Là encore, plus l'exploration de ce monde se fait exigeante, plus le doute s'empare de ceux qui l'abordent. Il est en tout cas certain que toute réponse de type essentialiste ne peut que mener à une impasse, et l'histoire de la recherche en ce domaine est jalonnée des multiples expressions d'un doute radical lié à la difficulté de déterminer de façon claire et nette le genre libertin, le type du libertin et ce qu'il en est du libertinage lui-même. Cette difficulté résulte moins d'une incomplétude de l'enquête que de l'inutilité de la question. Et il n'est probablement pas de meilleure réponse à Vol. XLIII, No. 4 3 L'Esprit Créateur l'inadéquation de toute question de type essentialiste (qu'il s'agisse de l'essence d'un comportement qualifié par le mot ou d'un personnage-type étant censé en incarner l'idée) qu'un déplacement de l'essence vers la topique et le circonstanciel: où, quand, comment, pourquoi? Où est-on libertin, quand et comment l'est-on, et pourquoi! En bonne méthode aristotélicienne, tous les moments de cette topique sont liés entre eux. C'est le moment qui fait le lieu, c'est le lieu qui fait le moment. C'est le cadre qui fait l'action, l'objet de la séduction qui fait la séduction, c'est l'entour qui fait l'être et qui le fait paraître, le décor qui parle, le lieu qui séduit, et c'est le temps qui décline le sens du «libertinage», qui résulte de l'agencement de tout cela. Topique oblige: la série est indéfiniment ouverte. C'est l'observateur qui fera bouger le tableau. Voilà la raison de ce dossier, et le pourquoi de son titre: «le chronotope libertin». Bien que suggestif, celui-ci doit tout de même être explicité, dans la mesure où le terme de chronotope, en tant qu'il relève de la théorie bakhtinienne des genres...

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