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Glossopoïèses Anne Tomiche LA ZAOUM TELLE QUE VELIMIR KHLEBNIKOV LA DEFINIT et l'utilise', la "poésie phonétique" d'Hugo Bail2, ce qu'Antonin Artaud appelle ses "syllabes inventées"3, les "coups glottes" de Christian Prigenf : quatre pratiques de l'écriture et réflexions sur la langue qui ont en commun d'altérer la langue au point d'évoquer la glossolalie et de soulever la question de la relation entre la glossolalie, phénomène oral qui s'inscrit dans une double tradition, religieuse et psychopathologique, et des pratiques d'écriture littéraire que nous désignerons par le terme de glossopoïèses pour souligner la dimension poétique de leur recours aux glossolalies. Dans la tradition religieuse qui remonte au "parler en langues" des premiers chrétiens et qui persiste encore aujourd'hui dans de nombreux mouvements charismatiques à , travers le monde, en particulier celui des Pentec ôtistes, la glossolalie est une langue en dehors des langues, inspirée par Dieu, adressée à lui seul et inintelligible pour la raison humaine: "Celui qui parle en langues ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le comprend"; il dit des choses inintelligibles car il "a entendu des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à l'homme de redire"5. Dans la seconde moitié du 19ème siècle, la glossolalie cesse d'être considérée comme un don divin pour devenir symptôme pathologique dans la clinique psychiatrique, délire d'aliéné, régression vers un infra-linguistique proche du cri de l'animal ou des premiers sons de l'enfant. Jean-Jacques Courtine l'a bien montré, l'histoire des glossolalies, qu'elles soient religieuses ou pathologiques "est celle, personnelle ou collective, des évasions du sens dans la voix"6. Les glossolalies posent d'une part la question de leur sens, c'est-à -dire de la structure de leur énoncé, et d'autre part celle de leur énonciation, c'est-à -dire du sujet énonciateur . L'énoncé glossolalique est un "semblant de langue", une "fiction de discours [qui] n'énonce rien"7 et qui se situe du côté d'un non-sens ou d'un horssens . Lénonciation glossolalique est celle d'une division du sujet, d'une altérité du sujet à soi-même. Qu'il s'agisse de l'effacement mystique du sujet dans la parole divine ou de sa division dans les hallucinations auditives et verbales , c'est l'Autre qui parle en moi. C'est cette altérité qui s'énonce dans le non-sens de l'énoncé glossolalique. Quand, à partir des années 1910, les avant-gardes littéraires ont cherché à libérer le mot de sa référentialité pour le refaire "neuf, étranger à la langue et 38 Winter 1998 Tomiche [...] incantatoire"8, elles se sont approprié les notions mallarméennes de "rythme", de "musicalité", de valeur "incantatoire" des sons, et, dans leur recherche d'une coupure radicale entre la valeur des sons et la valeur sémantique des mots, elles ont souvent rencontré la glossolalie. De fait, de Khlebnikov à Prigent la référence à la glossolalie est présente. Si Bail n'associe pas explicitement la poésie phonétique aux glossolalies religieuses, sa description de la lecture qu'il fit, en 1916, au Cabaret Voltaire, de son poème Karawane n'est pas sans évoquer les transes mystiques: "j'ai commencé à chanter mes séries de voyelles dans le style récitatif de l'Eglise et [...] je fus soulevé et emporté de la scène, comme un évêque magique" (Fuite, 146). Qui plus est, le titre même de Karawane est la transcription phonétique du nom arabe de Kairouan, ville célèbre pour ses marabouts, derviches et zaouias. Quand Prigent lit ses textes à haute voix, les scande et les martèle, il donne lui aussi l'impression d'entrer en transes9. Sa description de l'expérience de la lecture en public le confirme: "ce dont je fais l'expérience en lisant en public, c'est [...] de la pression d'une voix étrangère à l'individu que je suis"10. Alors que l'association entre le poème phon...

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