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Portraits de femmes d'un pays en guerre (Photographies et récits) Christiane Chaulet Achour LA PREMIÈRE LECTURE FAITE, en 1982, de l'album de Marc Garanger, Femmes algériennes I960', m'avait agressée, agacée, gênée. Entre le photographe et ces femmes, une lecture spontanée me plaçait du côté de celles-ci, aux visages à la fois différents et semblables, aux regards retranchés, parfois provocateurs, parfois lourds de défis. Ma réaction fut celle du rejet du projet soumis au public car je ne comprenais pas que ce photographe publie ce travail de «policier»? Au premier «viol» venait se surimprimait le second, plus distant mais aussi symbolique. Et chaque retour à l'album me hérissait, me faisait mal. Je ne pouvais dissocier la lecture de ces photos de l'écho qu'elles éveillaient en moi de l'analyse faite par Frantz Fanon du rapport du colonisateur à la femme, dans L'An V de la révolution algérienne: «Encore aujourd'hui, en 1959, le rêve d'une totale domestication de la société algérienne à l'aide des 'femmes dévoilées et complices de l'occupant', n'a pas cessé de hanter les responsables politiques de la colonisation». Quelques pages plus loin, Fanon ajoutait: Chaque voile rejeté découvre aux colonialistes des horizons jusqu'alors interdits, et leur montre, morceau par morceau, la chair algérienne mise à nu (...). Chaque nouvelle femme algérienne dévoilée annonce à l'occupant une société algérienne aux systèmes de défense en voie de dislocation , ouverte et défoncée. Chaque voile qui tombe, chaque corps qui se libère de l'étreinte traditionnelle du haïk, chaque visage qui s'offre au regard hardi et impatient de l'occupant, exprime en négatif que l'Algérie commence à se renier et accepte le viol du colonisateur. Et plus durement encore: «Dévoiler cette femme, c'est (...) briser sa résistance (...). Volonté de mettre cette femme à portée de soi, d'en faire un éventuel objet de possession»2. Cette analyse fanonienne m'obsédait. Je ne pouvais m'en défaire. Pourtant , le texte d'ouverture, sobre et sans fioritures, m'invitait à une autre lecture , n'assimilant pas la prise photographique à un viol symbolique: «J'ai reçu, écrit Marc Garanger, leur regard à bout portant, premier témoin de leur protestation muette, violente. Je veux leur rendre témoignage». Les signes s'inversaient: c'était le photographe qui était interpellé par ces femmes sans défense dans un pays aux mains de l'occupant. Je retrouvais un renversement semblable à celui de L'Etranger d'Albert Camus: à nouveau le Vol. XLI, No. 4 101 L'Esprit Créateur colonisé agressé devenait l'agresseur. Avec une nuance importante ici: non pas agresseur mais, d'une certaine façon, résistant. Mais les «textes» sont écrits à 40 ans de distance. Huit années plus tard, le même photographe récidivait, accompagné cette fois par un texte de Leïla Sebbar. La complicité que j'entretenais alors avec l'écriture de celle-ci m'interdisait le rejet pur et simple, toujours plus économique pour l'analyse critique par sa rupture sans concession. C'est le texte d'accompagnement qui me faisait obligation de regarder et de lire, véritablement, ces photographies . Le second album était beaucoup moins agressif pour ma mémoire algérienne de guerre et de femme. Je ressentais juste un peu d'agacement à l'odeur du parfum d'exotisme et d'ethnographisme qui s'en dégageait. A partir de cette date, j'ai souvent repris ces albums et je les ai travaillés avec différents publics étudiants. Les années 90 ont été celles de l'affrontement avec les images de la guerre. D'autres la disaient différemment, heurtant souvent mon savoir, ma mémoire et ma sensibilité: en particulier la série télévisée, projetée sur Antenne 2 en 1991, Les Années algériennes, et l'insertion des témoignages d'appelés français du contingent. C'était bien le statut qu'avait Marc Garanger dans cette guerre. Pouvait...

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