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Diasporisation et hybridité dans Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès Donia Mounsef «Mes racines? Quelles racines? Je ne suis pas une salade; j'ai des pieds et ils ne sont pas faits pour s'enfoncer dans le sol». —Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert* ALA DERNIERE PAGE de la dernière scène du Retour au désert de Bernard-Marie Koltès, Mathilde, le personnage principal de la pièce, explique qu'elle était revenue d'Algérie en France pour «foutre le bordel» (86). Cette phrase résume en quelque sorte toute l'intention de la pièce: montrer comment la question algérienne contribue à faire exploser les frontières idéologiques de la France de l'après-guerre. La pièce met à découvert une série d'oppositions binaires entre la France et l'Algérie, la marge et le centre, l'identité et l'altérité, la liberté et l'aliénation, l'individu et l'idéologie de masse pour ensuite les voir s'esquiver dans le spectacle idéologique de la Cinquième République. Le site principal de ces oppositions est le corps et sa transformation en champ de bataille idéologique. Trois étapes rythment cette transformation: tout d'abord le corps est élaboré en tant que terrain fertile face au «désert» que constitue le discours national de la France face à l'Algérie. Ensuite, grâce à une hybridisation à la fois linguistique et physique, le corps est transformé en un chantier où l'on exécute des attentats contre toute forme d'essentialisme identitaire ou racial. Le troisième volet de ce triptyque disperse les corps en les diasporisant dans des espaces migratoires résolument postmodernes et post-coloniaux. Créée au Théâtre Renaud-Barrault (Théâtre du Rond-Point) en 1988 dans une mise en scène de Patrice Chéreau, Le Retour au désert, l'avant dernière pièce de Koltès, écrite deux ans avant la mort de l'auteur, investit un champ jusqu'ici relativement négligé, celui de la politique. En effet, la pièce marque une césure dans la carrière théâtrale de Koltès; elle est en quelque sorte la moins koltésienne de toutes ses pièces. L'auteur qualifie cette pièce de «bizarrerie», ayant été accusé d'écrire des pièces sombres où triomphe le désespoir, Koltès cherchait avec Le Retour au désert à faire passer une expérience drôle et un peu «tapageuse». «Je suis effaré», écrit-il, «quand je lis [...] que l'ombre, la nuit, le désespoir sont ce que j'écris. Le Retour au désert est un texte qui se bat contre ces vérités»2. Pour se battre contre cette réputation, l'auteur confère à sa nouVol . XLI, No. 4 37 L'Esprit Créateur velle pièce des allures shakespeariennes et baroques dues en partie au fait qu'il traduisait en même temps Conte d'hiver de Shakespeare. Le tragi-comique de son ton, ses spectres et revenants, ses passages de réalisme fantastique ne laissent aucun doute sur le dessein de cette pièce: faire sortir son auteur du moule dans lequel la critique a voulu le caser depuis Combat de nègre et de chiens (1979), celui du tragique sordide et nihiliste. La démarche même de l'écriture de la pièce marque un départ de la tradition. En effet, avant d'écrire la pièce, Koltès avait proposé à Chéreau un plan des personnages. Le plan concernait notamment Mathilde dont le rôle avait été conçu pour la comédienne Jacqueline Maillan. La pièce peut être considérée en quelque sorte comme une commandite de la part de Patrice Chéreau qui en a suivi le développement, depuis les premières lignes jusqu'à la création sur la scène de son théâtre. En plus d'occuper une place importante dans l'ensemble de l'œuvre, la pièce est aussi une expérience unique du genre comique, lequel, Koltès l'admet...

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