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Maïssa Bey: «des mots sous la cendre des jours»: Au Commencement était la mer... et Nouvelles d'Algérie Lila Ibrahim-Ouali SI L'ACTIVITÉ LITTÉRAIRE DES FEMMES EN ALGÉRIE est relativement récente et si leur espace littéraire reste restreint, il n'en demeure pas moins vrai, pour reprendre la formule katébienne, qu'«(à ) l'heure actuelle, dans (ce) pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre»1. Surmontant l'épreuve de la «double exclusion»2, les femmes, en revendiquant et en assumant le droit à l'écriture, commettent l'infraction d'investir un métier ou une pratique qui, au Maghreb, s'énonce encore difficilement au féminin. Mais depuis 1994, comme si elles étaient enfin sommées par l'Histoire, de plus en plus de femmes témoignent de la réalité algérienne, des «événements». Leurs textes se multiplient à travers des formes diverses: chroniques, journaux, récits de vie, autobiographies patentes ou masquées. Ces ouvrages, souvent modestes et sans prétention esthétique, sont surtout lourds d'engagement idéologique et d'enjeux culturels. Reçus comme une première étape dans la construction de soi, du monde par des femmes jusqu'alors confinées dans l'aire du silence et de la marge, ou présentés comme expression de vie face à la présence massive de la mort, ils satisfont tous à l'exigence de dire et de décrire le spectacle insoutenable de la guerre civile; de façon directe, pour contrer les discours de ceux qui affirment que ce n'est pas une guerre, ils dénoncent la folie meurtrière des hommes et les lois injustes d'une société malade et violente. Ecrits avant tout en réponse à l'urgence de dire, chacun de ces textes fonctionne comme acte de témoignage mais aussi de résistance et de mémoire. Au milieu de cette production plus ou moins adroite, se distingue l'œuvre de Maïssa Bey qui, d'emblée, avec Au Commencement était la mer et le recueil Nouvelles d'Algérie3, affirme une écriture, un style fait d'exigence et de richesses esthétiques. Ses textes proposent un questionnement, plus qu'une description, qui concerne la société algérienne en plein bouleversement et les rapports que peuvent encore entretenir entre eux les individus dans une période de crise et de lutte fratricide. Si l'auteur s'inspire de faits dont, pour la plupart, elle avoue avoir été le témoin direct, son œuvre ne verse pas pour autant dans le témoignage brut et sans recul. En outre, contrairement à ses consœurs occupées le plus souvent à résoudre à travers des récits mémoriels Vol. XL, No. 2 75 L'Esprit Créateur ou d'introspection, des problèmes identitaires liés à l'éducation et à la place de la femme dans la société algérienne, Maïssa Bey évite l'écueil de la contemplation narcissique dans l'écriture. Consciente et soucieuse «de "porter la parole" (...) la parole féminine mais pas seulement»4, la romancière s'efforce de dépasser les discours politiques et médiatiques afin de donner de cette guerre vécue au quotidien une représentation plus complexe, plus nuancée et surtout, paradoxalement, plus humaine. La spécificité de son écriture de la guerre se saisit notamment dans les choix énonciatifs et les stratégies narratives —lesquels sont induits, par exemple, par le passage du roman à la nouvelle —, dans la conception et la construction des personnages, et enfin à travers la réflexion qui est menée sur les valeurs et les discours dans une société gangrenée. Par ailleurs, pour comprendre la façon dont Maïssa Bey aborde cette actualit é terrifiante, il convient d'admettre que, si l'on ne peut souscrire sans réticence à l'idée de l'existence d'une singularité de l'écriture féminine (dans le champ littéraire algérien ou non), la femme est bien celle sur qui s'exerce en priorité la violence de la guerre en Algérie. Celle-ci, du reste, n'a pas cessé depuis l'Indépendance...

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