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Ecritures féminines de la guerre Feminine Representations of War Catherine Milkovitch-Rioux «A Ia guerre, c'est là qu'on voit l'homme» —Albert Cohen, Belle du Seigneur «La femme est une grande réalité, comme la guerre» —Valéry Larbaud, A.O. Barnabooth LA DIVERSITÉ DES ÉTUDES RÉUNIES sous la notion générique d'«écritures féminines de la guerre» trahit tous les paradoxes de notre propos. Le titre conjugue en effet, pour définir une catégorie littéraire, deux critères de nature extra-littéraire: l'un, circonstanciel, évacue les spécificit és de chaque conflit du XXe siècle pour inscrire la réflexion dans le cadre presque atemporel de la guerre; l'autre, à la fois physiologique et sociologique , introduit de manière insidieuse le postulat de l'unité, sous la catégorie du féminin, d'un ensemble d'écritures pourtant disparates: la spécificité est toujours piégée quand elle est érigée en norme1. Or, la guerre, dont le champ sociologique et historique est délimité par la polémologie, est par excellence le lieu du stéréotype. En tant que pratique, modèle de conduite et système de représentations, elle constitue dans toute culture le paradigme des valeurs viriles; elle participe, sur le champ de bataille comme dans la littérature, à l'hégémonie d'une culture de la masculinité2. La modélisation épique, parangon de l'écriture de la guerre, est en cela exemplaire: les héros3, surhommes engagés dans le conflit, sont figurés au premier plan, et les femmes, dès lors qu'elles n'entrent pas dans l'intimité des protagonistes, sont absentes de l'action et ignorées de la relation des «péripéties» épiques4. Confrontée au ferme démenti de la doxa, l'intrusion de la femme dans les territoires de la guerre relève donc de l'incongruité. «La rêverie héroïque, affirme Philippe Sellier, crée presque toujours des figures masculines: le phénomène peut s'expliquer par la supériorité physique de l'homme, par la situation sociale de la femme jusqu'à une époque récente, par les caractéristiques de sa vie sexuelle et par ses maternités. Plus profondément, il faut envisager l'hypothèse qu'il s'agisse là d'une rêverie masculine»5. Certes, les figures mythiques des femmes guerrières, Amazones et autres Valkyries, échappent à cette prégnance du stéréotype: encore faut-il reconnaître que les Amazones sont des «barbares» ignorantes des lois de la polis et des IimitaVol . XL, No. 2 3 L'Esprit Créateur tions de la violence, circonscrite à l'ordre du peras, et que les Valkyries, inféodées à une féroce déesse de la guerre, sont des créatures monstrueuses, dépositaires de pouvoirs surnaturels usurpés. Se mutilant pour mieux combattre , les Amazones sont considérées par Homère comme des femmes-hommes (antianeirai), à la fois leurs égales et leurs ennemis, et en dernier ressort comme des avatars de l'animalité. Le recours au mythe est éclairant: les pratiques féminines de la guerre, jugées contre-nature, transgressant tous les codes sociaux, réfutant union et procréation, et obéissant à un obscur rêve de totalité, ne s'écrivent que pour affirmer leur impossibilité. Communément boutée hors du champ de bataille, la femme, vouée à des fonctions accessoires, occupe donc l'espace de l'arrière. Dans l'épopée, elle est dévolue au repos du guerrier, elle fait figure de tentatrice mais aussi de délaissée, à l'instar de Médée ou d'Ariane. Dans la littérature «courtoise», elle témoigne de sa sensibilité aux exploits guerriers et juge à ses hauts faits la vaillance du chevalier dont elle est suzeraine, et qu'elle envoie au combat. Dans ces deux types de représentation, elle est «éblouie par le rayonnement du surhomme»6. La féminité est alors vouée à une «fonction panoramique»7: confinée au rôle de faire-valoir, elle érige le héros combattant en objet de...

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