In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

L'identité posthume dans le Paradis d'Hervé Guibert Isabelle Décarie Le posthume est une façon de se survivre—mais il n'est pas évident qu'il ne soit déjà présent dans notre vie de tous les jours. La mort n'a jamais nui à l'expression de la vie, bien au contraire. Des écrits posthumes n'assurent pas un prolongement de l'existence, comme une manière de vivre encore, mais plutôt une vie seconde, parallèle à la première, scandée par le staccato des lectures et, par conséquent, des rencontres. —Eric Méchoulan Nous écrivons pour perdre notre nom, le voulant, ne le voulant pas, et certes nous savons qu'un autre nous est donné nécessairement en retour, mais quel est-il? —Maurice Blanchot ECRIT PENDANT L'ÉTÉ 1991 et publié un an après la mort d'Hervé Guibert, le Paradis' fait suite à la trilogie composée de À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, du Protocole compassionnel et de l'Homme au chapeau rouge1. «La dernière farce3» de Guibert s'offre au lecteur sous la forme d'un roman exotique dont le personnage principal s'appelle justement Hervé Guibert4. Malgré l'intrigue rocambolesque, le lecteur peut difficilement omettre ce qu'il sait déjà sur l'écrivain, comme en témoigne Michèle Bernstein: On se dit qu'on va faire comme si on ne savait rien. On se jure qu'on va lire ce livre, enclos entre ses deux pages de couverture, comme un objet séparé; comme si le nom de l'auteur n'avait pas déjà apporté, avec lui, toute une histoire. Naturellement, cela ne marche pas5. Autrement dit, on va lire ce livre comme si on ne savait pas que l'écrivain était condamné au moment de l'écriture et mort des suites du sida. Mais «ça ne marche pas» parce que, comme le souligne encore Bernstein: «partout le sida est nié («Je ne sais pas si [Jayne] veut garder notre enfant. Nous avons fait le test ensemble, nous n'avons pas le sida»). Partout il est présent (le petit garçon mourant dans un café triste, les singes verts [...])» (23). Mais ce qui «ne marche pas» non plus, c'est le sens du récit: le pacte romanesque vacille entre la réalité et la fiction, la trame temporelle se troue d'anachronismes, la lecture est confront ée à l'évanouissement du sens qui s'effiloche à mesure que le récit avance. Après un voyage pénible en Afrique avec sa compagne Jayne, le narrateur perd la mémoire à la suite d'une chute, après avoir appris la mort de sa grandtante , Suzanne. Pour tenter de comprendre cette amnésie soudaine, Jayne 100 Spring 2000 DÉCARIE accompagne Guibert à Washington pour subir des tests sophistiqués qui se révéleront négatifs. Afin de se reposer de ce voyage, Jayne emmène le narrateur à Bora Bora, voyage qui tourne au cauchemar. Les deux protagonistes se rendront ensuite en Martinique où Jayne mourra, éventrée sur une barrière de corail. Le narrateur envisage alors de rester sur place pour consigner tout ce qu'il sait de sa compagne qu'il connaît très peu. Il tente de raconter les voyages entrepris et c'est ainsi que le lecteur apprend que Jayne écrit une thèse sur «ses grands fous» (P 12): Nietzsche, Strindberg et Walser. Entre temps, une enquête est menée pour déterminer si cette mort n'est pas le fait d'un acte criminel: on soupçonne le narrateur d'avoir tué Jayne. Mais très vite cette hypothèse est abandonnée par les inspecteurs martiniquais car la jeune femme n'existe pas dans les fichiers de la police internationale: elle n'a pas d'identit é. Le narrateur, à la fin du récit, sombre dans la folie. Comment faut-il dès lors lire ce roman? Comme un roman métaphorique qui cache, dans les replis du texte, un récit du sida? Comme une farce imagin ée par Guibert juste avant de mourir? Tout porte à croire que la difficult...

pdf

Share